Jean-Luc Mélenchon, ombres et lumières

Sénateur et ancien ministre du gouvernement Jospin, Jean-Luc Mélenchon a quitté le PS en 2008. Pour créer le Parti de gauche, au sein duquel il défend depuis les fondamentaux de la gauche. Tribun talentueux et doué d’intuition politique, il séduit autant qu’il suscite les attaques les plus outrancières.

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 25 novembre 2010 abonné·es
Jean-Luc Mélenchon, ombres et lumières
© Photo : Michel Soudais

« Mélenchon ? On l’adore ou on le déteste ! » , commente un ancien de l’époque de l’Unef. Ce n’est pas le moindre paradoxe pour un homme qui invoque en permanence la Raison : il suscite les passions. Il est lui-même un passionné et un passionnel. Tribun talentueux et excellent débateur, constamment en mouvement – ce qu’il appelle « la culture de l’action »  – mais intellectuellement exigeant, il affiche un volontarisme glissant parfois dans l’entêtement. Sincère, il peut être sentencieux ou colérique.
Toujours prompt à mouiller sa chemise dans ce qu’il entreprend, ce fort en gueule – lui préfère « forte tête »  – séduit. Il n’y avait qu’à se poster à ses côtés, lors des manifestations syndicales de cet automne, pour mesurer la popularité du président du Parti de gauche. Bien visible sur les points fixes de son mouvement ou du Front de gauche, en lisière des défilés, l’ancien ministre et sénateur, désormais député européen du Grand Sud-Ouest était salué amicalement, interpellé par de tonitruants « Jean-Luc… » suivis d’une appréciation positive sur tel ou tel passage télé, ou d’encouragements à « tenir bon » , parfois accompagnés de la promesse de voter pour lui.

Régulièrement, des manifestants lui montraient fièrement leur pancarte, d’autres sortaient des rangs pour une poignée de main ou une bise, deux ou trois mots échangés, une photo à ses côtés, ou un autographe…
Tous ces gens, comme ses partenaires politiques, lui reconnaissent un courage politique : sénateur et ancien ministre dans le gouvernement Jospin, il a réussi à rompre avec sa famille quand il lui est apparu que celle-ci délaissait l’objectif historique du socialisme pour le centre. Si l’adhésion du PS au traité constitutionnel européen, contre lequel il bat la campagne aux côtés de Marie-George Buffet, Olivier Besancenot, José Bové et tout ce qu’il appellera plus tard « l’autre gauche », constitue l’événement déclencheur de cette prise de conscience, celle-ci s’affine en 2007 : la candidature de Ségolène Royal n’est pas pour lui « un ­accident de parcours » , mais l’effet d’une évolution du PS vers la ligne « démocrate » initiée par Bill Clinton et Tony Blair, à laquelle s’est progressivement ralliée toute la social-démocratie. Persuadé qu’il est vain d’y résister de l’intérieur, il fonde le Parti de gauche dans le but avoué de rassembler toute cette « autre gauche » et « desserrer l’étau » qui conduit à la disparition de la gauche.

À cette fin, sur toutes les tribunes qu’on lui offre, Jean-Luc Mélenchon revisite les fondamentaux de la gauche. Il rejoue la lutte éternelle de « l’intérêt du plus grand nombre » contre celui des « belles personnes » , l’union des petits contre la coalition des grosses fortunes. Ses cibles favorites : l’oligarchie de l’économie, de la politique et des médias, et bien sûr les « socialistes ». Un discours qui lui vaut d’être qualifié depuis quelques semaines de « populiste » et d’être la cible d’attaques aussi outrancières qu’insultantes. Daniel Cohn-Bendit l’accuse de « labourer sur les terres du FN » . « Son langage et son ­comportement sont dangereux pour la démocratie » , assure Manuel Valls, et même « plus grave[s] que Le Pen » renchérit Jean-Paul Huchon…

Lui, s’en défend : « On n’installe pas le débat avec des textes savants, mais en utilisant des “mots-obus” qui font réagir. » Et cela marche. « Il dit les choses comme il les sent et sent les choses comme beaucoup de gens » , note l’éditorialiste Jacques Julliard, qui ne partage pourtant pas ses idées. Ceux qui le côtoient au sein du Front de gauche lui reconnaissent une capacité réelle à expliquer des choses compliquées avec des mots pas forcément simples mais qui les rendent compréhensibles par le peuple. Une qualité qui n’est pas donnée à tous les responsables politiques. Et un atout pour qui rêve de convaincre les catégories populaires et les jeunes, où se recrute la grande masse des abstentionnistes.

Son intuition politique est aussi louée. « Elle le met en alerte sur le mouvement du monde » , analyse le communiste Roger Martelli. Elle lui fait bien sentir que la situation est à un point de basculement. Mais ses partenaires d’aujourd’hui (et peut-être de demain) s’inquiètent de sa tendance à s’emporter face à cette urgence, ce qui nuit à la crédibilité de son discours, qui tout en incarnant la rupture doit aussi rassurer. Ils ont encore en mémoire ses colères et ses foucades.

La plus fameuse, et la moins glorieuse, est évidemment son pétage de plombs, en mars dernier, face à un étudiant en journalisme de Sciences-Po à propos d’une une du Parisien sur la réouverture des maisons closes. Les invectives pleuvent sur la « petite tête pourrie » et la « petite cervelle » qui prend pour toute une profession : « Votre sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier » , s’empourpre Mélenchon, qui conclut d’un subtil « vous êtes tous les mêmes » . Les proches de « Méluche » en ont vu d’autres. Quelquefois à leurs dépens. On ne mettra pas sur un même plan sa diatribe contre le « larbin » Pujadas, aimable interviewer de Sarkozy. La flèche ici ne s’est pas trompée de cible. Et la cible a de quoi se défendre.

En vérité, Mélenchon a deux aversions dans la vie : les journalistes (qu’il sait aussi cajoler, le cas échéant, voir son habile prestation chez Drucker…) et les curés. Comprendre les prêtres de toutes les religions. Son logiciel laïc (les méchantes langues disent « laïcard ») ne fait pas non plus dans la nuance. Que la religion soit parfois le dernier refuge des pauvres et un mode de résistance des opprimés semble échapper au président du PG. Sur le Proche-Orient, le député européen oscille. Il peut condamner Israël et même demander des sanctions, après les bombardements sur Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009, mais aussi quitter une manifestation de solidarité parce qu’il y a dans le cortège des militants de l’Union des organisations islamiques de France, puis, tout de même, écrire sur son blog (le 16 janvier 2009) : « Il est absolument faux que la balance soit égale entre les méthodes des camps en présence. » C’est le moins que l’on puisse dire.

Mais, évidemment, son exploit de « laïcard » quelque peu rigide, c’est le Tibet. C’était en avril 2008, à la veille des Jeux olympiques de Pékin. Certes, Mélenchon confiait qu’il n’était « pas d’accord pour qu’on tire sur les Tibétains » (ouf !), mais c’était pour mieux proclamer qu’il n’était « pas d’accord pour autant avec le dalaï-lama » . Qui donc a jamais dit qu’il fallait « être d’accord » avec le dalaï-lama pour défendre les droits de l’homme ? Dans son ardeur, Mélenchon en était venu à nier que le Tibet ait été envahi par les Chinois « en 1959 » (sic). Il l’a bel et bien été, et dès octobre 1950.

On pourrait étendre la part d’ombre du président du PG à d’autres questions qui ne sont pas étrangères non plus au fameux triptyque « république, laïcité, jacobinisme ». Ah ! Cette façon d’invoquer la République à tout bout de champ ! Comme si Thermidor, ce n’était pas la république ! Dans les rangs des Alternatifs ou des Communistes unitaires, les nouveaux alliés du Front de gauche, on pointe souvent « une conception désuète du Parti, très pyramidale » . Façon aimable de critiquer une tendance autoritaire. Côté Mélenchon, on parle plutôt de « volontarisme » , et on ne se prive pas de railler ceux qui prétendent « faire de la politique autrement » . Les Verts, par exemple, ou ces Communistes unitaires, dont cependant il se rapproche à mesure que les difficultés s’amoncellent dans le ciel des relations avec la direction du PC.

Mais, le « bolchevik » cohabite avec le social-démocrate qui sait à l’occasion être rond et habile négociateur. Ses plus anciens amis du temps de l’Unef se souviennent que le côté « réformard » remonte à loin. Patron en 1973-1974 à Besançon de l’une des sections locales d’une Unef alors famélique, il avait su s’imposer dans l’intersyndicale, et trôner au milieu de la Bourse du travail, comme un grand. Il devait cette position enviable moins au nombre de ses adhérents qu’à son sens des relations.

Enfin, si ce portrait avait été écrit il y a trois ans, on aurait nettement porté le chapitre écologie au passif du futur président du PG. Venu culturellement du marxisme et du productivisme, la « vision catastrophiste » des écolos suscitait en lui plutôt la moquerie que le respect. Il a su depuis s’entourer de militants compétents comme, en premier lieu, Martine Billard. Peut-être par calcul au début, mais qu’importe, il a depuis sérieusement révisé son logiciel. Mélenchon sait bouger. Il ne faut jamais désespérer de lui.

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