La com’ de l’Élysée à côté de ses pompes

Claude-Marie Vadrot  • 4 novembre 2010 abonné·es

Pendant une dizaine de jours, parlementaires et ministres de la majorité ont tâtonné dans le choix des arguments de leur communication officielle. Au début de la grève dans les raffineries et du blocage des dépôts de carburant et du port de Marseille, l’« écologiste » Jean-Louis Borloo et quelques ministres ont assuré aux Français qu’une pénurie d’essence était « im-pos-sible »  !

La ministre de l’Économie et des Finances expliquait péremptoirement à la mi-octobre dans tous les médias : « Il n’y a pas et il n’y aura pas de pénurie puisque la France dispose de plusieurs semaines de stocks. » Et elle précisait même que seules 225 (parfois 230, cela dépendait des radios) stations-service sur 13 000 souffraient d’une rupture de carburant. La bonne parole élyséenne fut répétée sur tous les tons pendant deux jours, tandis que les Français, sceptiques par principe, remplissaient à la hâte leurs jerricans et leurs réservoirs.

Le déni de la réussite du mouvement de blocage ne dura pas longtemps, et les « éléments de langage » changèrent : par la simple vertu d’un sondage présidentiel confidentiel qui révéla à l’Élysée et aux services du Premier ministre que seule la perspective d’une pénurie d’essence pouvait remettre en cause la sympathie des Français envers le mouvement social. Consignes furent donc immédiatement données d’en faire des tonnes sur la paralysie de la France et le naufrage de l’économie qui se préparaient.

Changement de cap et de com’ : toutes les excellences et leurs serviteurs médiatiques, volontaires ou involontaires, forcèrent la dose sur les pénuries et sur le nombre des stations-service fermées, dont personne, en réalité, n’a jamais connu le nombre exact.

Astuce suprême, alors que nul n’était en mesure de faire les comptes, la communication officielle insista longuement sur la mesure phare ­gouvernementale décidée en coordination avec le Medef : les autoroutes allaient être approvisionnées en priorité. Comme si la France entière ne circulait que sur ces voies rapides. L’approvisionnement se fit, claironnèrent les industriels du pétrole et le gouvernement, au prix d’une importation quotidienne (et donc coûteuse) de 100 000 tonnes d’essence et de gazole.

Message subliminal : si vous payez votre carburant plus cher, c’est la faute aux grévistes. Oubliés, les stocks de plusieurs semaines qui avaient nourri l’optimisme inébranlable de Christine Lagarde et de Jean-Louis Borloo tandis que les équipes des radios et des télévisions se précipitaient le long des autoroutes des vacances pour recueillir les plaintes ou les joies fugaces des automobilistes.

Cet épisode essentiel illustre parfaitement les agissements d’un pouvoir qui ne sait plus que communiquer et qui compta – ce fut dit à l’Élysée devant les députés de l’UMP – sur le fait qu’aucun média ne serait en mesure de faire le compte précis des pompes vides et des blocages. L’on fournit alors à la presse les éléments de cartographie permettant d’afficher une France rouge de pénurie. Ils étaient accompagnés, de « source proche du pouvoir » , d’autres éléments de langage sur la « lassitude » des grévistes et des manifestants.

Il ne restait plus qu’à mettre en scène le dernier set du match : la course de vitesse entre le vote définitif de la loi et les manifestations.
La surprise, en fin de compte, c’est que si les services de l’Élysée et du Premier ministre ont fini par accréditer l’idée (en partie fausse) d’un pays bloqué par la pénurie de carburant, ils ont échoué à faire croire que cette longue période de grèves et de manifestation ne laisserait pas de trace dans la population.

En dehors du Figaro , aucun média n’a repris le slogan présidentiel susurré à tous les journalistes : « Les Français ont désormais admis que la retraite à 62 ans était inéluctable. » Affirmation complétée par une allusion à des « sondages confidentiels » assurant que le pays était majoritairement lassé par la vague des manifestations et confortant ainsi « la victoire » de la majorité et du Président. Ce qui fut moqué un peu ­partout. Preuve que trop de communication tue (enfin) la communication, cette pseudo-satisfaction des Français a donc fait un flop dans les médias. Ce qui semble poser des problèmes à l’Élysée : sa cellule communication devrait très prochainement être remaniée de fond en comble.

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Retraites : la bataille de l'info
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