La stratégie du « même pas vrai »

Les climato-sceptiques américains seront très présents à Cancún. En France, ils ne sont pas en reste, comme en témoigne cet ouvrage signé de plusieurs géographes qui entendent nous « rassurer ».

Claude-Marie Vadrot  • 25 novembre 2010 abonné·es

« Catastrophisme, fausses assertions, apparition d’une nouvelle religion basée sur la peur, obscurantisme et culpabilisation, essor de prédicateurs d’autant plus influents qu’ils appartiennent aux hautes sphères de la société, catéchisme vert et contrôle social au nom du prétendu bien-être collectif, ne sommes-nous pas en train de faire fausse route ? » Les géographes qui viennent de publier Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête  [[Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. 15 grands scientifiques géographes nous rassurent sur notre avenir,
éd. Jean-Claude Lattès, 350 p., 19 euros.]], dirigé par Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte, n’y vont pas de main morte pour relancer la vague de l’écolo-scepticisme avant le sommet climatique de Cancún. Ils affirment ne pas croire « la planète en danger » , attribuant les préoccupations concernant la menace climatique ou la baisse de la biodiversité aux « bateleurs qui ont établi leurs estrades au cœur des grands médias » .

Ceux qui pensaient le courant représenté par Claude Allègre définitivement balayé par le rapport récent de l’Académie des sciences se sont trop vite réjouis. Oubliant de relever que cette dernière avait soigneusement évité de se prononcer sur les méthodes douteuses d’Allègre et de ses amis, et s’était bornée à réaffirmer que le risque de changement climatique était réel et essentiellement lié à l’activité humaine.

Les quinze scientifiques réunis dans cet ouvrage assurent partir en croisade au nom des tous les géographes, provoquant des protestations de cette communauté – protestations toutefois discrètes car, dans ce monde universitaire où les moyens financiers se raréfient, il n’est jamais prudent de s’opposer à des gens bien en cour et servant l’immobilisme des pouvoirs publics. Une enseignante du département de géographie de Paris-VIII, qui assure qu’une bonne partie de cette communauté n’est pas climato-sceptique, réplique aux auteurs : « Interrogez un paysan du Sahel, et vous verrez si pour lui il n’y a pas de changement climatique. »

D’autres renchérissent : « Jean-Robert Pitte est celui qui a le plus appuyé – au point d’être débarqué de la présidence de la Sorbonne par ses pairs – les scandaleuses réformes imposées par la ministre Valérie Pécresse, et il continue d’agir pour faire plaisir au prince. Le plus incompréhensible est que Sylvie Brunel se soit embarquée dans cette galère… » On a en effet connu cette dernière plus prudente, et défendant des causes moins ambiguës, comme la lutte contre la faim dans le monde.

Les auteurs de ce pamphlet affirment encore que, si la mer monte, « ce qui n’est pas prouvé » , il suffira de « construire de nouvelles digues » – les habitants des îles submersibles, et à moyen terme ceux du Bangladesh, apprécieront. Et ils n’hésitent pas à qualifier les inquiétudes liées au changement climatique de « choses perçues à travers le miroir des médias sans mémoire et alarmistes, [où] l’image et l’émotion l’emportent sur la rationalité ». « Si le mot science à encore un sens, renvoyons les obscurs à leur obscurité », poursuivent-ils, empruntant explicitement à Claude Allègre…
Ceux qui s’inquiètent de la chute de biodiversité ne sont pas épargnés, et l’un des auteurs leur reproche de cultiver la « pensée unique » ; il s’en prend en particulier au WWF, à l’Union internationale pour la conservation de la nature, à Greenpeace et à toutes les ONG qui comptabilisent les disparitions d’espèces.

Sur le sujet des énergies, on tombe même sur les élucubrations de Christian Pierret, président fondateur du Festival international de géographie de Saint-Dié, qui explique que le nucléaire est actuellement « l’alternative la plus sérieuse » . Il est vrai qu’il en fut le plus ardent partisan des ministres de l’Industrie de François Mitterrand. Avec d’autres scientifiques, il célèbre le Forum de Davos, alors qu’aucune contribution ne mentionne l’existence des forums sociaux mondiaux. Ce qui s’explique quand on lit sous la plume de Pitte que « les entreprises multinationales constituent de précieux instruments de dialogue. Le fait qu’elles soient tendues, par nature, vers la réussite économique les rend précieuses » . Ce qui l’amène évidemment à conclure « que le pire n’est jamais sûr ».

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