Les mots et l’émeute

Cinq ans après les violences urbaines en France, Benoît Grimont interroge les habitants d’une des cités concernées. Remarquable.

Jean-Claude Renard  • 4 novembre 2010 abonné·es

C’est quoi une émeute ? Réponses brèves et sobres, face caméra, d’une poignée d’habitants de la cité des Hautes-Noues, à Villiers-sur-Marne. « Bonne question ! » , ­souffle le premier. « Un rassemblement de personnes qui veulent se faire entendre » , ajoute un autre. « Un affrontement entre les forces de police et les jeunes du quartier » , renchérit un troisième. « Avec des pierres, des cocktails Molotov. Tout ce qu’on a sous la main pour canarder les keufs ! Ils sont armés, nous ne le sommes pas. On fait donc avec ce qu’on a. En essayant de taper là où ça fait mal. » Tort ou raison ? Bien ou mal ? « On a chacun sa petite raison » . Avec ou sans colère, avec ou sans haine du flic. « C’est un engrenage. On peut se retrouver une trentaine à caillasser. Tous, tant qu’on est, quand on habite dans une cité, à un moment ou à un autre, on a été victime d’une injustice. Et c’est après qu’on se dit que c’est peut-être l’occasion de faire payer l’injustice qu’on a vécue. » D’où le titre du documentaire, la Tentation de l’émeute.

D’une parole à l’autre, confrontée, juxtaposée, c’est bien un portrait des émeutiers que dessine le réalisateur, un tableau de la cité. Tableau épuré. Benoît Grimont (épaulé par Marwan Mohammed, sociologue) n’ajoute aucune image d’émeute (sinon une dizaine de secondes), mais additionne les entretiens, livre des plans d’ensemble sur le quartier. Un refus du spectaculaire qui densifie le sujet, lui laissant le champ du social, du politique au bout des tensions. La cité des Hautes-Noues fait partie de ces quartiers dits « sensibles ». Au lendemain des émeutes de Clichy, ce quartier était investi par les CRS. Le face-à-face jeunes/police a eu son lot d’incidents, d’incendies. « On ne pouvait ni entrer ni sortir de la cité » , se souvient un habitant. Pour les parents, il n’était pas question de laisser sortir les gamins. Quant aux aînés, beaucoup étaient déjà derrière les barreaux.

Une clé à cette ambiance délétère engluée dans ce qui ressemble à une impasse : le travail. « C’est ça, le problème. J’ai 25 ans, je galère à la cité. C’est pas le travail qui va frapper à ta porte. Faut se bouger le cul ! » Vainement. Et de traîner alors son désœuvrement entre les barres de béton. Dans ce contexte, la mission locale est un leurre. « La plupart des émeutiers, ce sont les petits , poursuit Kevin (contredisant ainsi un voisin). Faut de l’adrénaline. Ils sont dans la transition entre l’adolescence et la majorité. Ils se cherchent. Et en même temps, ils ont arrêté l’école. Ils ne font rien du tout. Ça galère. » Démissionnaires, alors, les parents ? « Je n’y crois pas du tout , répond un éducateur. Mais dépassés, sans doute. »

Au gré des propos, du verbe cru mais au phrasé bien construit, au gré des témoignages croisant émeutiers d’hier ou en devenir, animateurs de la vie locale ou éducateurs, tombent les contrôles d’identité ininterrompus, le racisme ordinaire exprimé à coups d’insultes, la discrimination quotidienne, la ségrégation urbaine, les bavures et les affaires classées sans suite. Parce que les Hautes-Noues se souviennent d’autres émeutes, en 1999. Avec un père de famille qui rentrait des courses, cabas en mains, et recevant une balle en caoutchouc en plein visage, tirée par les policiers. Borgne depuis. « Sans suite », selon la justice. Et depuis onze ans, il ne s’est rien passé. Pas plus avec les plans banlieue de Fadela Amara, annoncés à grand renfort de communication.

Des banlieues, des quartiers où l’on ne vote pas, ou très peu. Détail d’importance. In fine, « pourquoi rien ne semble changer ? , s’interroge Fabien Jobard, sociologue. Parce que les émeutes, au fond, ne menacent pas le système politique français. On peut même dire que les émeutes peuvent apporter des bénéfices politiques pour des leaders qui s’emparent, d’un côté, de la thématique de la peur et, de ­l’autre, de la thématique de la sécurité, de la préférence policière » .

Médias
Temps de lecture : 4 minutes