Obama ne fait plus rêver l’Amérique

Deux ans après son élection historique, Barack Obama peine à faire valoir ses succès dans une Amérique malmenée par la crise. Par notre correspondant.

Alexis Buisson  • 4 novembre 2010 abonné·es
Obama ne fait plus rêver l’Amérique
© Photo : Samad/AFP

C’était une douce nuit de novembre 2008, peu après 23 heures, le bureau de Chet Whye explosait de joie. Un écran géant branché sur CNN, le directeur de « Harlem 4 », un groupe démocrate qui avait mobilisé la capitale de l’Amérique noire, Harlem, autour de la candidature de Barack Obama, apprenait avec ses collègues l’élection du premier président afro-américain, à peine cinquante ans après le « rêve » du pasteur Martin Luther King Jr. « Nous n’étions qu’un ce soir-là » , se souvient-il.

Début octobre, le même bureau est plongé dans l’obscurité et l’écran, qui retransmet toujours CNN en boucle, n’annonce plus des lendemains qui chantent. L’Amérique est toujours embourbée en Irak et doit à présent faire face aux révélations embarrassantes du site Wikileaks sur la réalité de la guerre en Afghanistan ; la crise continue de peser lourdement sur les ménages ; les saisies de maisons ont repris de plus belle mi-octobre ; et le chômage, qui n’avait pas dépassé 5 % depuis novembre 2005, tutoie désormais les 10 %. Alors Chet Whye, comme beaucoup d’autres, est revenu à la réalité.

« Si je demandais aux habitants d’Harlem de former une queue pour la réforme du système de santé et une autre pour l’emploi, la seconde serait beaucoup plus longue, insiste-t-il. Obama aurait dû résoudre le problème du chômage avant de passer à autre chose. Cela aurait soudé sa base et créé le soutien nécessaire pour les réformes à venir. »

Le sentiment de ce supporter de la première heure est partagé par beaucoup d’autres aux États-Unis. La question de l’emploi est une épine majeure pour le président démocrate depuis son arrivée à la Maison Blanche. Le plan de relance de 787 milliards de dollars, qu’il fait voter par le Congrès en février 2009 pour sauver jusqu’à 2,6 millions d’emplois, a produit des résultats mitigés. D’un côté, la mesure a sauvé le pays d’une crise plus profonde, selon l’office parlementaire américain pour le budget. De l’autre, le plan n’a pas atteint les objectifs de réduction du chômage fixés par l’administration. En effet, 9,6 % de la population active américaine est toujours sans emploi (contre 9,8 % l’an dernier à la même époque), bien loin du taux de 8 % avancé par l’équipe Obama il y a deux ans pour faire adopter la mesure.


9,6 % : c’est le taux de chômage actuel aux États-Unis, contre 6,7 % en novembre 2008.


Cette nouvelle réalité économique éclipse toutes les réalisations de l’administration démocrate, aussi historiques soient-elles. Au terme d’un débat national houleux, Barack Obama a mis le pays sur la voie de la couverture médicale pour tous, réalisant une réforme dont Harry Truman, Lyndon Johnson, Richard Nixon et Bill Clinton avaient rêvé en leur temps. Et que dire de la refonte du système financier, adoptée l’été dernier ? La réforme Dodd-Frank institue notamment un bureau de protection des consommateurs et de nouveaux contrôles sur les institutions financières. Au pays du capitalisme-roi, la législation est la plus ambitieuse votée depuis la Grande Dépression des années 1930.

« Certes, si l’on compare les législatures, ce pouvoir-ci a été l’un des plus prolifiques de l’histoire. Mais le problème des démocrates tient en deux chiffres : 6,7 % et 9,6 %, soit les taux de chômage à l’élection d’Obama en novembre 2008 et aujourd’hui , insiste Ruy Teixeira, spécialiste de l’opinion publique au think tank progressiste The Center for American Progress. Inutile d’aller plus loin. »

Chaque bataille législative a un coût politique et, pour Barack Obama, cela a été la radicalisation d’un pays que la crise a rendu fébrile. En plein débat sur la réforme du système de santé est apparu le Tea Party, un mouvement populiste farouchement opposé à tout interventionnisme de l’État. Cette minorité archivisible aux techniques sulfureuses – certains de ses membres sont allés jusqu’à traiter Barack Obama de « nazi »  – s’est progressivement immiscée dans la vie politique américaine, soutenant, voire alignant des candidats dans des élections et recevant même l’adoubement de personnalités politiques de premier plan, comme l’ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis, Sarah Palin.

L’impact de ce mouvement est sujet à polémique. Quoi qu’il en soit, les sondages réalisés au sein de l’ensemble de la population montrent une méfiance sans précédent des Américains contre leur gouvernement. Si le niveau de confiance s’érode depuis la guerre du Vietnam dans les années 1960, elle atteint son plus bas niveau sous Barack Obama (à peine 20 %), selon une étude du très sérieux Pew Research Institute. En réaction au climat économique morose, l’interventionnisme de l’administration dans l’économie et la santé, et la persistance de tensions raciales dans une Amérique dirigée pour la première fois par un Noir, les ventes d’armes bondissent de 30 % dans les premiers mois de la présidence Obama, et les groupes antigouvernementaux connaissent un inquiétant regain d’activité comme en témoigne l’explosion du nombre de milices (de 42 en 2008 à 127 en 2009). Les tensions sont telles qu’on compare le climat social actuel à celui dans lequel Timothy McVeigh, membre d’un groupe d’extrême droite, a perpétré l’attentat d’Oklahoma City, il y a quinze ans, contre un bâtiment fédéral.

« L’augmentation du nombre de ces groupes est la plus importante observée en dix, douze ans , souligne un rapport du Southern Poverty Law Center, une association qui fait autorité dans l’analyse des groupes radicaux aux États-Unis. Ils ne leur manquent plus qu’une étincelle pour basculer dans la violence. »

Même dans le camp démocrate, l’espoir semble avoir cédé la place à une certaine déception. On accuse Obama tantôt de s’être coupé de sa base électorale, tantôt de faire trop de concessions, que ce soit avec son propre parti ou avec les Républicains. L’abandon de la « public option », une disposition controversée de la réforme du système de santé qui prévoyait une assurance-maladie publique en alternative à l’offre privée, a été mal vécu par ceux qui avaient adhéré au « Yes we can » du candidat Obama, quelques mois plus tôt.

« Je suis déçue , lance Michèle Stephenson, propriétaire de la société de production Rada Film à Brooklyn, qui a notamment fait du porte-à-porte pour Barack Obama dans un quartier défavorisé de Philadelphie. C’est comme s’il s’était laissé dévorer par la machine qu’il voulait changer. »
La situation de Barack Obama n’est pas inédite. De nombreux présidents américains connaissent des revers aux élections de mi-mandat. Pour ne citer que lui, Bill Clinton en a fait les frais en 1994, lorsque l’électorat décida d’envoyer une majorité républicaine au Congrès. Obama est-il, peut-être, davantage dans la situation de Franklin D. Roosevelt ? En novembre 1942, le président démocrate essuyait une lourde défaite au Congrès (sans en perdre la majorité pour autant) dans un climat marqué par un chômage relativement élevé (9 %) et la guerre. « La défaite démocrate était si cuisante qu’elle a mis un terme à la dérive du pays vers la gauche et a permis aux Républicains d’inverser la plus grosse croissance de l’État dans l’histoire des États-Unis : le New Deal » , écrivait récemment la revue conservatrice The National Review Online.

En sera-t-il ainsi pour Barack Obama ? Dans l’immédiat, le défi du 44e président sera de renouer avec sa base en vue de 2012, disent les spécialistes. Un sondage du New York Times/CBS News montre en effet que les femmes, les électeurs dits « indépendants » et les bas revenus, qui constituaient le cœur de l’électorat qui a donné la Maison Blanche à Obama et le Congrès aux démocrates en 2008, sont en train de virer « républicains ».
« Bill Clinton est parvenu à retourner la situation après son échec de 1994, il a changé de style, fait des promesses et battu les Républicains , rappelle John Fortier, spécialiste des élections à l’American Enterprise Institute (AEI), un centre de recherche libéral. Obama devra montrer au pays qu’il a compris le mécontentement. »

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