Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour *

Hervé Bompard-Eidelman  • 4 novembre 2010 abonné·es

** En hommage à Pierre Dac.*

Aux affaires ou dans l’opposition, les politiques ont pris l’habitude de décrire des situations tranchées, binaires. Les jeunes et les seniors, les riches et les pauvres, les pour les privatisations et les contre, les pour Hadopi et les contre, les pour le Président et les contre, les pour 35 heures et les contre, etc. Le gouvernement actuel a utilisé cette technique jusqu’à la nausée pour faire passer une politique qui, jusqu’à maintenant, n’a pas fait la démonstration de son efficacité.

Les propos binaires ont un inconvénient principal, celui de tout diviser en deux camps. Le but, dans l’esprit du Président, persuadé encore qu’il suffit de menacer, d’ordonner et d’appuyer sur un bouton pour que ça marche, c’est qu’ainsi tout sera clair, net, tranché, limpide et donc simple. Seulement voilà… Ça, c’est vrai dans les séries américaines, où tout est bouclé en 52 minutes, sauf le sauvetage du monde entier où là, c’est vrai, il faut 110 minutes, le temps d’un film ; c’est un peu plus long.

Hadopi, par exemple, divise en deuxle camp de la droite et le camp de la gauche, ce qui nous fait déjà quatre camps où tout le monde n’est pas d’accord sur tout. Et pendant ce temps, oubliez la création artistique, car le nouvel objectif est que chacun des camps à l’intérieur d’un camp ait raison sur tous les autres, sans rien demander aux autres de l’autre camp qui sont d’accord, mais qui ne peuvent pas le dire clairement, pour les apparences. Si on prend, par exemple, le camp des contre, il y en a dans tous les camps, mais ils ne sont pas non plus totalement d’accord entre eux, ce serait trop simple. Et le camp des contre à droite ne peut pas dire qu’il est d’accord avec le camp des contre à gauche, sinon plus personne n’y comprendrait rien, d’autant plus que dans le camp des pour, il y en a aussi qui sont contre ceux qui sont pour dans le camp d’en face, mais pour d’autres raisons qu’il serait trop long et trop technique d’exposer ici.

Du coup, lorsqu’on demande à un parlementaire s’il est pour ou contre, il reprend la vieille formule d’un ancien parlementaire : « Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire. » Et pendant ce temps, les pour du camp des contre, mais qui n’ont pas encore osé le reconnaître, se réunissent avec les contre du camp des pour, qui, eux non plus, n’ont pas encore osé le reconnaître, pour se compter en étant sûrs de ne pas faire d’erreur. Comme les pour et les contre ont entendu parler de cette réunion, ils décident de s’y mêler pour savoir ce qu’il se dit, tout en affirmant de leur côté être pour mais dans un camp et les contre aussi mais dans le même camp puisque, nous l’avons dit, il y a des pour et des contre dans le même camp. Évidemment, tout ça ne simplifie rien, mais la démocratie est à ce prix, mes amis, vous répondent-ils tous en cœur, un peu agacés qu’on les interrompe pour si peu. Pendant ce temps, les Français, médusés, ne savent même plus de quoi on parlait au début.

Dans le brouhaha général des pour qui sont pour mais pas du même camp où on n’est pas forcément d’accord sur tout ce qui est pour, des contre qui sont contre mais pas forcément du même camp où on n’est pas non plus forcément contre la même chose, ne serait-ce que par principe et pour ne pas dérouter les électeurs, et les pour qui sont contre dans un camp et dans l’autre, là aussi par respect pour les valeurs qu’ils ont défendues toute leur vie et dont rien ne les ferait jamais changer, et enfin les contre qui sont pour et qui, entre-temps, ont fini par se mettre d’accord sur une date de réunion pour discuter du périmètre du contre sans toutefois avoir, pour le moment, signé un protocole d’accord sur l’objectif du contre mais sur une déclaration commune qui insistera sur les avancées obtenues au cours de cette première rencontre qui n’est que le prélude à un travail de longue haleine et dont on peut remercier le Président, sans qui rien n’aurait été possible, soudain, dans le brouhaha général donc, une voix s’éleva, fluette mais curieusement très audible, très nette : « Et si on discutait de la marée haute, pour faire diversion dans l’opinion publique et avant qu’elle s’aperçoive qu’on est en train de donner du plaisir aux mouches ? »

L’accueil fut unanime, les applaudissements et les hourras fusèrent de toute l’assemblée, de tous les camps soudain réconciliés, comme un soulagement, une libération. « Je propose que nous délibérions d’un texte en vue de préparer une loi interdisant la marée haute. » Tonnerre d’applaudissements. C’était une idée géniale. Une voix, au fond : « Et pourquoi pas la marée basse, s’il vous plaît ? » Et c’était reparti joyeusement, les uns pour, les autres contre, les contre-pour, les pour-contre, les ni pour-ni contre, les camps, les tractations, les conciliabules, les réunions secrètes… Et c’est ainsi qu’au cœur d’une nuit quelconque, en catimini, avec seulement quelques représentants de tous les camps, après des milliers d’heures de tractations, de conciliabules, d’amendements, d’arrangements, tous à bout d’arguments et de fatigue, la loi fut adoptée : Internet serait interdit en France et tout contrevenant aurait la tête tranchée. Finalement, qu’est-ce qui est le plus dangereux : la démocratie ou marcher au pas ? Il faudrait en discuter puisqu’on est au moins sûr d’une chose, c’est que la bêtise ne tue pas. Qui est pour ? Qui est contre ?

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