Terre de folie

Inédit sur les écrans français, « En présence d’un clown »,
d’Ingmar Bergman,
est un grand film monstrueux.

Christophe Kantcheff  • 4 novembre 2010 abonné·es

Il restait un Bergman inédit sur les écrans français. En présence d’un clown est l’avant-dernier film du cinéaste, avant l’ultime Sarabande . Réalisé lui aussi pour la télévision suédoise, en 1997. Le Festival de Cannes l’avait projeté l’année suivante dans la section Un certain regard, et le film était passé à la télévision française. Il sort aujourd’hui sur les écrans. C’est un émerveillement.

En présence d’un clown n’est ni une œuvre-testament ni l’épure qui cristalliserait plus de cinquante années de création. Avec ce film, Ingmar Bergman, disparu en 2007, continuait à avancer, à oser, à proposer, tout en retravaillant des thèmes qui lui étaient chers – l’irrationnel, la folie, l’illusion, ou la mort, qui apparaît ici sous l’apparence d’un clown féminin et grotesque.

  1. L’ingénieur vieillissant, Carl Akerblom (Börje Ahlstedt), personnage pivot du film – c’est lui qui est visité par le clown – est vu soit dans un hôpital psychiatrique, où il séjourne pour avoir asséné un coup violent sur le crâne de sa maîtresse, soit, quelque temps plus tard, dans la salle des fêtes d’un village – son village natal – où, avec les membres de sa petite troupe, il montre le film qu’ils ont tourné, fruit d’une technique révolutionnaire mise au point par l’ingénieur : « la cinématographie vivante et parlante » . Mais l’installation électrique de fortune nécessaire à la projection prend feu, et la troupe finit par représenter théâtralement le film pour la poignée de spectateurs présents. L’histoire en est la fin de Schubert et son amour pour une prostituée.

Contrairement à Sarabande , ­beaucoup plus simple dans sa structure, En présence d’un clown se lance à chaque début de séquence dans une nouvelle direction, renouvelant les interrogations qu’il soulève et les atmosphères qu’il traverse, même si des forces récurrentes et sous-jacentes minent les personnages, risquant à chaque instant de tout mettre à bas. Dans chaque image résonne, à l’arrière-plan, un rire destructeur et sauvage. Carl Akerblom semble ainsi se maintenir en permanence au bord d’un précipice, obsédé par sa chute, dans un déséquilibre existentiel que seule, peut-être, la musique schubertienne réussit à calmer.

En présence d’un clown est aussi une réflexion ironique sur les pouvoirs de la représentation, au cinéma comme au théâtre, où le cinéaste a commencé et qu’il n’a jamais abandonné. C’est aussi par le théâtre que les villageois et les saltimbanques forment une communauté et parviennent, le temps d’un spectacle improvisé, à exister ensemble. Avant d’être tous renvoyés à leur solitude que rien, même l’amour, ne peut briser.

Culture
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