Une réforme qui ne résout rien

L’économiste Jean-Marie Harribey a étudié la loi réformant les retraites. Il en ressort que cette réforme imposée par l’Élysée est loin de sauver l’actuel système de retraite par répartition. Voici pourquoi.

Thierry Brun  • 4 novembre 2010 abonné·es
Une réforme qui ne résout rien
© Photo : Saget/AFP

Durée de cotisation, pénibilité, nouvelles recettes, cette réforme des retraites laisse en suspens nombre de points alors que le gouvernement et Nicolas Sarkozy n’ont cessé de répéter qu’elle devait assurer le sauvetage des retraites. « Le gouvernement a imposé une réforme des retraites sans aucune négociation avec les syndicats ni avec la société, qui a crié son opposition dans la rue, sans même respecter les formes minimales de la démocratie parlementaire puisqu’il a exigé de l’Assemblée nationale et du Sénat des votes bloqués, constate l’économiste Jean-Marie Harribey, qui a coordonné Retraites, l’heure de vérité  [^2], pour Attac et la Fondation Copernic. L’ajout in extremis devant le Sénat d’un amendement annonçant une autre réforme, de type “systémique”, en 2013, en dit long sur la gigantesque escroquerie mise en œuvre par le gouvernement et dont la suite est déjà programmée. » C’est aussi l’occasion pour Jean-Marie Harribey de montrer que la loi Woerth-Sarkozy ne répond pas aux enjeux mis en lumière par la crise.

Le poids du financement repose sur les salariés

En reculant l’âge de la retraite de 60 à 62 ans et celui de la retraite sans décote de 65 à 67 ans, et en poursuivant l’allongement de la durée de cotisation jusqu’à 41,5 ans et au-delà, la loi condamne les travailleurs soit à travailler plus longtemps, soit à voir leur pension réduite. Elle sacrifie les personnes ayant commencé à travailler tôt, elle condamne les femmes ayant eu des carrières discontinues et précaires à travailler jusqu’à 67 ans ou à finir dans la misère. En suivant les préconisations du Medef, la loi ne reconnaît pas l’existence de travaux pénibles, empêchant la prise en compte de l’écart d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres supérieurs. Pour couronner le tout, la médecine du travail est confiée au patronat.
À l’horizon 2018, la quasi-totalité de l’effort est demandée aux travailleurs puisque sur les 43,8 milliards supplémentaires à trouver par an, ils en fourniront les 4/5, soit parce qu’ils travailleront davantage, soit parce qu’ils cotiseront plus (les fonctionnaires), soit parce que leur pension baissera. Pour qu’il en fût autrement, il eût fallu revenir sur le formidable détournement de la richesse produite au profit du capital et au détriment du travail, qui représente aujourd’hui 5 points de pour cent par rapport à 1973.

La réforme contre l’emploi

Dans une situation de crise profonde, où le chômage officiel approche les 4 millions et où le taux de chômage des jeunes est de 25 %, vouloir faire travailler davantage ceux qui ont un emploi est aussi absurde que cynique. Dès que les jeunes ont fait entendre leur voix en descendant dans la rue, des voix « expertes » sont venues répéter en boucle dans tous les médias « que le travail ne se partage pas et que le travail des seniors créera le travail des jeunes » . On reconnaît là le discours habituel de tous les opposants à la réduction du temps de travail qui va à l’encontre de la réalité : ce ne sont pas les travailleurs qui, parce qu’ils auraient envie de travailler, commandent la décision d’embaucher et de dynamiser l’activité, ce sont bien les entreprises qui sont seules maîtresses-d’œuvre en fonction de leurs débouchés anticipés et de leur capacité à exiger plus de productivité de leurs travailleurs.

La réforme fait le lit de la capitalisation

Parmi les dispositifs d’épargne retraite déjà en place (Madelin, 1994 ; plan d’épargne pour la retraite collectif, 2003 ; plan d’épargne retraite populaire, 2003 ; plan d’épargne retraite entreprise, 2003), certains sont élargis : un plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco) qui bénéficie d’exonérations de cotisations et d’impôts pourra recevoir une partie des sommes correspondant à des jours de congé non pris ou bénéficier d’un transfert du compte épargne-temps ; un titulaire d’un plan d’épargne retraite populaire (Perp) pourra recevoir jusqu’à 20 % du montant épargné en capital au moment du départ à la retraite ; et la loi oblige chaque branche à ouvrir des négociations pour mettre en place, là ou il n’y en a pas, un Perco ou un plan d’épargne retraite entreprise (Pere) avant fin 2012. En même temps, on apprend ce qui ressemble fort à un conflit d’intérêts : Guillaume Sarkozy, qui dirige le groupe privé de retraites et d’assurances Malakoff Médéric, a passé fort opportunément une alliance avec la Caisse nationale de prévoyance, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, pour créer la société d’assurance Sevriena et profiter de la baisse future des pensions versées par les caisses collectives et devenir un champion de la retraite complémentaire privée.

La réforme qui en annonce une autre, pire encore

La loi prévoit d’ouvrir un débat sur « les conditions de mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au cœur du pacte social qui unit les générations », parce que le gouvernement reconnaît que sa réforme actuelle ne résout pas ce qu’elle est censée résoudre : la pérennité du financement des retraites. Un système par points, déjà en vigueur dans les régimes complémentaires de l’Arrco et de l’Agirc, est un système à cotisations définies qui laisse le salarié dans l’ignorance totale du montant de sa future retraite car celui-ci sera fonction de la valeur du point à l’avenir. Le tour de passe-passe est parfait car disparaissent du débat politique la durée de cotisation et le taux de remplacement, qui sont au cœur des conflits actuels. Le système par points crée l’illusion que la retraite est une épargne que le salarié retrouvera lors de son départ en retraite. Le rapprochement avec les formes d’épargne retraite par capitalisation est alors possible, et il est encore plus flagrant si l’on examine le système par comptes notionnels.

Celui-ci ouvre des comptes individuels sur lesquels sont inscrites chaque année les cotisations indexées d’un intérêt variable selon l’évolution de l’économie et de la démographie. Chaque salarié est doté d’un tel compte sur lequel on enregistre le niveau de ses cotisations pour constituer son capital virtuel. Le montant de la pension sera ensuite proportionnel à ce capital virtuel actualisé, auquel on applique un coefficient de conversion dépendant de l’âge de départ à la retraite et de l’espérance de vie à cet âge de la génération à laquelle appartient le salarié. C’est un pas de plus dans la libéralisation et l’individualisation, d’une part parce qu’est introduit le principe de la neutralité actuarielle, selon lequel l’âge de départ à la retraite doit être neutre en termes de sommes perçues pendant tout le temps de retraite, d’autre part parce qu’on tend à substituer la notion de salaire différé à celui de salaire socialisé.

Dans ces deux systèmes, les salariés à faibles salaires, bien qu’effectuant souvent des travaux pénibles, seront obligés de travailler plus longtemps pour ne pas avoir des pensions trop misérables. Le gouvernement a entre les mains un rapport du Conseil d’orientation des retraites publié en janvier 2010 qui étudie la faisabilité de telles transformations. Or le COR avait lucidement reconnu deux choses très importantes : les systèmes par points et par comptes notionnels sont incapables de faire face à un choc démographique ou à un choc économique, et leur application provoquerait une baisse des pensions d’environ 20 %. L’idéologie néolibérale fonctionne par antiphrases : sauver la retraite par répartition, c’est la tuer ; assurer l’égalité, c’est favoriser les riches ; réformer, c’est régresser.

[^2]: Avec Pierre Khalfa et Christiane Marty. L’ouvrage est paru cette année aux éditions Syllepse.

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