Ces hors-la-loi qui nous gouvernent

Tout comme la loi SRU, la loi sur le droit au logement opposable (Dalo) n’est pas appliquée. Le comité chargé d’évaluer sa mise en œuvre enjoint à l’État de respecter ses obligations.

Xavier Frison  • 23 décembre 2010 abonné·es
Ces hors-la-loi qui nous gouvernent

Le respect de la loi est une science à géométrie variable. Brandi comme un principe sacré par nos ministres quand il s’agit de justifier réformes et autres coupes dans les acquis sociaux, la soumission du gouvernement aux textes législatifs est un peu plus lâche dès lors que l’on touche aux principes de solidarité républicaine. On connaît déjà le scandale du non-respect massif de la loi « SRU » portant sur les 20 % de logements sociaux obligatoires dans les communes de plus de 1 500 habitants. Il faut désormais compter une autre félonie, le non-respect de la loi sur le droit au logement opposable (Dalo), en vigueur depuis mars 2007. Son principe est simple : le droit à un logement décent et indépendant ou à un hébergement est garanti par l’État, soumis à obligation de résultat. Ce droit est garanti pour toute personne en situation régulière qui n’est pas en mesure d’accéder au logement ou de s’y maintenir. En clair, plus personne ne doit rester sans toit. Or, dans son quatrième rapport rendu public mercredi 15 décembre, le comité de suivi du droit au logement opposable tire le signal d’alarme : « Le non-respect de l’obligation de résultat [induite par le Dalo] est d’autant moins acceptable qu’il s’aggrave : chaque mois, le stock des ménages non relogés augmente. » N’ignorant rien du « contexte de manque de logements abordables sur certains territoires » , imputable, faut-il le rappeler, à la politique du « laisser-faire » sur les marchés immobiliers, le comité rappelle avoir pointé ces difficultés dès 2007 et formulé des propositions. Sans effets tangibles pour le moment.

Très critique envers l’inertie de l’État, l’organisme chargé d’évaluer la mise en œuvre du Dalo n’a pourtant rien d’un nid de militants anti-sarkozystes délurés. Présidé par Xavier Emmanuelli, président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, on y trouve pêle-mêle des représentants du Conseil économique et social, du Conseil national de l’habitat, de l’Union nationale de la propriété immobilière, les associations des maires, des départements et des régions de France, mais aussi la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, Droit au logement, la Fondation Abbé-Pierre, etc. Soit l’essentiel des acteurs du logement en France, à tous les niveaux.

L’État, garant du droit, « se trouve aujourd’hui condamné par les tribunaux administratifs » , insiste le comité dans son rapport. « Il n’y a ni fatalité à ce que la loi Dalo ne soit pas partout respectée, ni automaticité à ce qu’elle le soit. Le comité de suivi appelle l’État à une implication sans faille : il ne peut pas rester hors-la-loi. » D’autant qu’avec 6 000 recours mensuels, dont 63 % concernent l’Île-de-France, le rythme des demandes ne cesse de progresser. Si le comité enregistre bien une « progression significative du rythme de relogements » , il pointe un effort « très en dessous du besoin » . Au-delà de ces listes d’attentes anormales, le comité de suivi pointe « les incohérences de l’État » , passé ­maître dans l’art de dépenser des fortunes pour expulser des ménages prioritaires au Dalo dans l’incapacité de régler leur loyer plutôt que ­d’indemniser le propriétaire ou de mettre en place une médiation locative. Une solution plus efficace, moins chère et moins traumatisante pour tout le monde… Malgré cela, avec 110 000 jugements rendus en 2009, le nombre d’expulsions ne cesse d’augmenter.

Serpent de mer aussi vieux que l’explosion des loyers en Île-de-France, la production massive de logements sociaux à loyers vraiment modérés reste problématique. Et ce d’autant que l’État se désengage en catimini de l’affaire : le comité de suivi s’inquiète ainsi du niveau des loyers « qui s’éloigne des capacités du plus grand nombre des demandeurs » et des perspectives de production, « compte tenu de la diminution des crédits d’État et de la mise à contribution des bailleurs sociaux » pour financer le logement social. Autre écueil constaté, dans un contexte où préfectures et bailleurs peinent à loger les demandeurs, une tendance certaine à saupoudrer les critères de sélection déjà prévus par la loi de nouvelles contraintes illicites : refus de prise en charge au motif que la demande HLM est trop récente, demandeur menacé d’expulsion « oublié » tant que le concours de la force publique n’est pas acté, etc. Dans ces conditions, l’espoir du relogement devient encore plus illusoire.

À la lecture de ce rapport, d’aucuns feraient plutôt amende honorable. Le secrétaire d’État Benoist Apparu, lui, préfère se réjouir du fait que « 500 ménages [soient] relogés tous les mois en Île-de-France, contre 278 en 2009 et 81 en 2008 » . Sans doute chaussé de meilleures bésicles, le député UMP Étienne Pinte exhortait le 15 décembre préfets et maires à réquisitionner les logements vacants pour lutter contre la pénurie ambiante, comme la loi les y autorise. À ces derniers, pétrifiés à l’idée de se mettre les électeurs-propriétaires à dos, Étienne Pinte rappelait que « la réquisition n’est pas l’expropriation » . Le dispositif, d’une durée d’un an, est renouvelable dans la limite de cinq années. Soit le délai de construction d’un nouveau logement.

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