Écologistes par nécessité

L’expansion industrielle et agricole du Mexique entraîne une rébellion des plus pauvres, qui sont les premiers touchés par les dommages environnementaux.

Sophie Chapelle  • 9 décembre 2010 abonné·es

« Aujourd’hui il n’y a plus de ­poissons ni de nutriments dans cette eau, c’est un fleuve mort. » Natif du village d’El Salto, à 500 kilomètres à l’ouest de Mexico, Enrique Riviera se souvient de l’arrivée ­d’entre­prises pétrochimiques, de production automobile, d’agroalimentaire et d’électronique. Pompeusement appelée « la Silicon Valley du Mexique », cette zone industrielle pollue depuis des décennies le fleuve Santiago. Au pied d’une cascade, Enrique désigne l’épaisse mousse blanche qui ­re­couvre l’eau sur des centaines de mètres. L’odeur est insoutenable. « C’est une mousse de pollution aux métaux lourds, explique-t-il. Il y a bientôt trois ans, un petit garçon, Miguel, a fait une chute dans le fleuve, il est mort trois semaines plus tard d’une intoxication à l’arsenic. » La mort de l’enfant provoque à l’époque un choc et un regain d’attention des populations et des médias pour l’une des pires catastrophes écologiques du Mexique. Dans les mois qui suivent, naît l’Assemblée nationale des affectés environnementaux (Anaa), qui regroupe des communautés victimes de désastres socio-environnementaux. « Elle est née du besoin de renforcer les communautés face à la destruction de leurs conditions matérielles d’existence » , relate un de ses membres, Octavio Rosas.
Alors que se déroulent les négociations sur le climat, l’Anaa, aux côtés de Via Campesina, a décidé d’organiser des caravanes sillonnant le pays pour « rendre visibles » ces communautés affectées. L’enfer d’El Salto n’est en effet qu’un exemple parmi d’autres au Mexique. L’Anaa recense 63 cas de grave pollution et de destruction des ressources naturelles.

Sur la route reliant El Salto à Cancún, la caravane traverse Morelia. Derrière la splendeur de « la ville aux pierres roses » se dévoilent des milliers d’hectares de monoculture irriguée d’avocats. « Presque toute la culture ici est vouée à l’exportation vers les États-Unis , explique Maria, productrice de variétés anciennes de maïs. C’est le retour des haciendas car les terres sont en grande majorité la propriété d’investisseurs étrangers. » À mesure qu’elle décline les impacts de ces monocultures et la manière dont elles contribuent au dérèglement climatique, les visages des cinq cents militants en provenance du Canada, des États-Unis, mais aussi de différents pays d’Amérique centrale et du Sud, s’assombrissent. Esther, venue de New York, confie ressentir intimement ici ce que signifie le changement climatique.

Magdalena Contreras, dans la banlieue de Mexico, illustre la détermination pacifique des habitants. Ici, la ville ressemble à une zone de guerre. Des belles villas ne restent que les murs éventrés. Il y a huit mois, les bulldozers ont commencé à détruire les ­maisons dont les propriétaires avaient fini par partir. Le gouvernement prévoit la construction d’une autoroute à six voies reliant Mexico à sa riche voisine Santa Fe. « Nous n’abandonnerons pas notre territoire, assène un des habitants. Ils ne passeront jamais par-dessus la conscience des communautés pour nous priver d’eau, détruire nos forêts et nos sols. » Toutes ces communautés ont pour point commun de pratiquer « l’environnementalisme des pauvres » , un écologisme par obligation, une lutte de survie pour leurs enfants. Des négociations à Cancún, ils n’attendent rien, et du gouvernement non plus. « Cancún est une occasion de mettre en lumière la duplicité des gouvernements , souligne Octavio, de l’Anaa. Les vraies solutions naissent quand les peuples sont en mesure de construire des alternatives. »

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