Le changement de cap américain

Après le refus israélien de prolonger le gel de la colonisation, les États-Unis annoncent une réorientation tactique. Relance ou abandon ?

Denis Sieffert  • 16 décembre 2010 abonné·es

Les Palestiniens ont peut-être tout lieu de se féliciter de la nouvelle rebuffade essuyée par Barack Obama dans le dossier proche-oriental. Le président américain souhaitait obtenir du gouvernement israélien une prolongation de trois mois du gel de la colonisation en Cisjordanie. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, lui a opposé un refus catégorique. Et c’est peut-être mieux ainsi tant les contreparties que proposaient les États-Unis paraissaient dramatiques. En échange d’un gel des colonies qui, de toute façon, n’aurait pas été respecté, le grand parrain américain proposait un accroissement considérable de l’aide économique et militaire à Israël. Plus grave encore : il offrait à Israël une protection diplomatique illimitée, notamment par l’usage du droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies.

Le refus israélien ­montre assez l’aveuglement du gouvernement d’extrême droite que dirige M. Netanyahou. Dans un discours prononcé vendredi soir devant la Brookings Institution, et adossée à un immense drapeau où se mêlaient la bannière étoilée et l’étoile de David, Hillary Clinton a pris acte du refus israélien. Non, d’ailleurs, sans renvoyer dos-à-dos Israéliens et Palestiniens, comme si ces derniers avaient une égale responsabilité dans ce nouvel acte d’obstruction. Tout au long de son discours, la secrétaire d’État a manié cette fausse symétrie. Mais, au-delà de cet artifice trop connu, c’est un nouveau changement de cap qui a été proposé par Hillary Clinton. Contraints de renoncer à promouvoir des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, les États-Unis en reviennent à jouer les intermédiaires. « Nous ne serons pas un partenaire passif » , a déclaré la secrétaire d’État, qui invite Israéliens et Palestiniens à s’attaquer « sans délai » aux questions clés : les frontières, les réfugiés, le sort des colonies et le statut de Jérusalem.
Elle a exhorté les deux camps (toujours la symétrie) à accepter des compromis et à prendre des « décisions difficiles » . Il est de votre intérêt de conclure la paix, a-t-elle dit en substance, car sans une résolution du conflit ni Israël ni les Palestiniens ne pourront se sentir vraiment en sécurité. Hillary Clinton a également demandé à chacun d’éviter les mesures provocatrices, comme l’annonce de nouvelles implantations juives à Jérusalem-Est ou la demande d’une reconnaissance par l’ONU d’un État palestinien indépendant. L’émissaire américain, George Mitchell, a repris dimanche 12 décembre sa navette au Moyen-Orient.

En fait, le discours d’Hillary Clinton ne dit rien de l’essentiel. Ni la rhétorique du « sans délai », ni l’énumération des « questions clés du conflit » ne sont en effet de nature à impressionner Israël. Le tout est de savoir si les États-Unis sont prêts à fixer un calendrier et surtout à imposer une obligation de résultat à leur partenaire privilégié. De cela, Mme Clinton n’a rien dit. En l’état, sa déclaration peut tout aussi bien être une forme à peine élégante de renonciation. Le seul message codé adressé à M. Netanyahou est la rencontre, sur initiative américaine, entre Mme Clinton et la centriste Tzipi Livni, principale rivale de l’actuel Premier ministre.

En tout cas, ce n’est pas l’Union européenne qui risque de prendre le relais. Lundi, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont adopté, pour faire suite au refus israélien, une déclaration dans laquelle ils demandent sobrement « des progrès urgents en vue d’une solution à deux États » . On ne saurait faire moins… En revanche, plusieurs hauts responsables européens ont rendu publique le 10 décembre une lettre adressée à la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, pour demander des sanctions contre Israël. Vingt-six anciens responsables européens, dont l’Espagnol Javier Solana, l’Italien Romano Prodi, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, l’ex-chancelier allemand Helmut Schmidt et l’ex-commissaire européen aux Relations extérieures Chris Patten réclament un ultimatum pour avril 2011, faute de quoi ils proposent d’en référer « à la communauté internationale » , c’est-à-dire aux Nations unies. C’est la première initiative de ce genre à un tel niveau diplomatique.

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