Préavis de perturbation saisonnière

Au cours de leur premier Forum social, organisé ce week-end à Aubagne, des travailleurs saisonniers ont annoncé leur intention de porter plainte contre l’Unedic pour discrimination.

Sébastien Boistel  • 9 décembre 2010 abonné·es
Préavis de perturbation saisonnière
© Photo : P. Leclerc /

En ce moment, sur le site de Pôle emploi, un sosie de Nadine Morano fait de la retape pour les stations de sports d’hiver et le Club Med. Pour un peu, on se croirait dans les Bronzés : plonge le matin, pistes de ski l’après-midi. Mais ce week-end, à Aubagne, la traversée du miroir aura été rude. Paulette est agent d’accueil ; Jean-Lou, cuisinier. Quant à Pascal, il est pisteur secouriste. Samedi, ces trois saisonniers ont décidé de porter plainte auprès de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) contre l’Unedic. « Il est inadmissible que nos indemnités chômage soient minorées parce qu’on ne travaille pas toute l’année , assène Paulette. On cotise comme les autres salariés. Et, personnellement, je n’ai pas choisi d’être saisonnière. Quand j’ai perdu mon boulot, on m’a fait comprendre qu’à mon âge je ne trouverais rien d’autre. »

L’action de Paulette, Jean-Lou et Pascal est loin d’être symbolique. En janvier débuteront les nouvelles négociations sur l’assurance chômage. Or, non content de voir les saisonniers privés de leur prime de précarité, le Medef envisagerait de supprimer l’indemnisation de ceux ayant travaillé trois ans de suite au même endroit. Au prétexte que l’Unedic n’est pas là pour verser des allocations de complément mais seulement de remplacement. Pas de prime de précarité, des indemnités diminuées quasi de moitié et demain supprimées : voilà pourquoi ce trio porte plainte.

Ce coup d’éclat, ils l’ont annoncé lors du premier Forum social des saisonniers. À l’origine de l’événement, le sociologue Richard Dethyre. Fondateur de l’Association pour l’emploi, l’information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires (Apeis), il s’intéresse depuis plus de dix ans aux saisonniers. Il est notamment à l’origine des groupes d’expression et de concertation chez l’un de leurs plus gros employeurs, le CE d’EDF. Mais pas question d’en rester là. D’où l’idée, avec d’autres (Jeunesse ouvrière chrétienne [JOC], Unef, CGT…), de ce forum. « D’abord parce que, dans un secteur comme le tourisme qui génère un chiffre d’affaires annuel de 145 milliards d’euros, les saisonniers font partie des plus précaires. Ils seraient entre 400 000 et 800 000. Si la fourchette est aussi grande, c’est parce qu’il y a beaucoup de travail au noir. Avec tout ce que cela implique. » Ensuite, poursuit-il, « nous avons voulu faire de ce forum un lieu d’expression et de revendication parce que nous sommes à la veille des négociations de l’assurance chômage et qu’on ne donne jamais la parole aux saisonniers. Or, il est capital de le faire. Histoire de battre en brèche certaines représentations » . Ainsi, une enquête de l’Observatoire national de la ­saisonnalité conclut que seul un ­saisonnier sur cinq le serait par contrainte, le revenu moyen de ces travailleurs étant d’« une fois et demie le Smic ». Soupir de Richard Dethyre : « Cette enquête était un questionnaire anonyme sur Internet auquel on pouvait répondre plusieurs fois. Autant dire qu’elle n’a aucune valeur. » On est loin de l’étude menée par la JOC cet été et en 2007 auprès d’un millier de jeunes saisonniers : 14 % n’ont pas de contrat de travail, 25 % ne se font pas payer leurs heures supplémentaires et plus des deux tiers ne connaissent pas leurs droits.

Annette, elle, rêvait d’un « vrai boulot » . Aujourd’hui, d’un « contrat à durée indéterminée intermittent » . Car, avoue cette animatrice, après avoir vécu des années « presque sans domicile fixe » , avant chaque ­saison, elle angoisse. À la tribune, la voix de cette quadra tremble un peu : « Qui sommes-nous, les saisonniers ? De beaux animateurs bronzés ou bien des mères de famille obligées d’accepter un emploi précaire ou des jeunes diplômés voulant se faire une première expérience et qui, depuis, enchaînent les saisons ? Nous sommes les petites mains, ceux qui se lèvent tôt et se couchent tard, pour qui les congés et les RTT sont l’eldorado. Mais qui sommes-nous ? » , répète-t-elle. Axel, pisteur secouriste, lui répond : « Des personnes disparates qui vont devoir s’organiser pour être quelque chose. »
Car, pour l’instant, les saisonniers sont trop souvent traités comme des moins que rien, que ce soit par « M. Paul Emploi » ou leur patron. En témoignent l’étude de la JOC et ces saisonniers logés à « sept dans un studio » ou « dormant dans leur voiture » . Antoine Fatiga, de la CGT des remontées mécaniques, se ­souvient, lui, de « saisonniers dormant dans des chambres froides » . Mais il veut aussi rappeler les « luttes » menées par ces derniers : « Avant 1993, les saisonniers étaient des salariés à part entière. Depuis, ce sont des salariés entièrement à part. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir du pouvoir. Quand vous bloquez les remontées d’une station, le patron reprend rapidement les négociations. » Et d’ajouter : « En quelques mois, ils ­réalisent le chiffre d’affaires d’une année. » Pour Jean-Lou, les calculs sont vite faits : « On bosse huit mois. Ajoutez à cela un mois de congés, de la formation, et on ne sera pas loin d’une année. Ni du CDI… »

Sauf que le rapport publié en 1999 par le conseiller d’État Anicet Le Pors « pour l’amélioration de la situation sociale et professionnelle » des ­saisonniers a depuis longtemps été enterré. À la place, on a vu Laurent Wauquiez se féliciter de la reprise de l’emploi des saisonniers, « un signe avant-coureur, selon lui, de ce que nous espérons être l’évolution du marché de l’emploi ». Grimace de Richard Dethyre : « Le saisonnier, c’est le salarié rêvé. Mobile, précaire, malléable, jetable. Petit à petit, on retrouve ce type de contrat dans tous les secteurs. Entre-temps, le chômeur est passé du statut de victime à celui de ­coupable. » D’où ce « paradoxe » rappelé par le psychologue du travail Yves Clot : « Les Français sont, en Europe, les plus attachés à leur travail. Mais aussi ceux qui souhaitent le plus ardemment qu’il prenne moins de place dans leur vie. »

Pas étonnant alors de voir des dizaines de saisonniers prêts à imiter Paulette, Jean-Lou et Pascal en portant plainte contre l’Unedic pour discrimination. En attendant la prochaine édition en 2012, le forum vient de mettre en place, via son site Internet, un réseau d’entraide, de solidarité et de débat. Et exige de rencontrer d’urgence la Halde, le Médiateur de la République ainsi que les partenaires sociaux. Pas de doute : la saison commence tôt, cette année.

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