Un héros très discret

« Une vie de chat » est un polar sensible et drôle sur la double vie d’un matou dans un Paris jazzy, empruntant à la peinture et à la BD.

Ingrid Merckx  • 16 décembre 2010 abonné·es

Pour l’accompagnement musical jazzy 1930 et l’ambiance parisienne, confère les  Aristochats et les films noirs… Pour l’univers pictural, les souliers pointus et pantalons bouffants, les personnages qui s’étirent comme s’ils étaient faits de caoutchouc ou de fumées, clins d’œil au Roi et l’oiseau , à Modigliani, Picasso, Mattotti et Loustal. Pour la parade des gangsters décérébrés, et la brute à leur tête, spéciale dédicace à Audiard et Scorsese. Mais pour le scénario, c’est une petite comédie américaine de 1965 qui vient à l’esprit : l’Espion aux pattes de velours de Robert Stevenson. Pas d’anthropomorphisme à la Disney dans Une vie de chat . Le personnage titre, Dino, ne parle pas. Il ne se comporte pas comme un humain, c’est d’ailleurs plutôt les humains qui empruntent aux chats (dessin des yeux, souplesse de déplacement…).

Dino vit sa vie de chat. Sa double vie plutôt, car qui connaît les matous sait qu’ils filent, la nuit, vers de mys­térieuses aventures. Chasse, conquêtes, espionnage… Cambriole pour Dino, qui se fait complice de Nico (Bruno Salomone), voleur et ­gentle­man. Au matin, Dino re­trouve Zoé, petite fille mélancolique qui ne parle plus depuis que son père, flic, s’est fait descendre par l’ennemi public numéro 1, Costa (Jean Benguigui). Sa mère (Dominique Blanc), commissaire, est sur ses traces. La petite est surveillée par une nourrice tapageuse, Claudine (Bernadette Lafont).

Les principaux ingrédients du polar se conjuguent, suspens, humour et même sous-texte psychologico-­dramatique : la petite conserve les lézards morts offerts par son chat. Le voleur est seul. La mère de Zoé est en deuil et surmenée… Le chat est moins un personnage à part entière qu’un lien, scénaristique et graphique. C’est lui qui permet de passer d’un personnage à l’autre, d’une intrigue à l’autre, et même, comme souvent dans les polars, de relier les intrigues parallèles. Une vie de chat n’est pas cadré de son point de vue ni de sa hauteur, mais le suit. Il est passerelle entre des cases de BD, narrateur missionné ou héros très discret qui fait fi des frontières : jour et nuit, flics et voleurs.

Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol sont entrés à Folimage, studio d’animation français installé à Valence, comme objecteurs de conscience. L’un venait de la peinture, l’autre de la BD. Et ça se sent dans Une vie de chat , peut-être le long-métrage de Folimage ( la Prophétie des grenouilles , Mia et le Migou ) où le dessin des personnages est le plus séduisant. Auteurs d’une quinzaine de courts-métrages, ils sont des adeptes du surréalisme fantastique.

Dans Une vie de chat , si les gargouilles de Notre-Dame font mine de prendre vie lors d’une mémorable course-poursuite, le fantastique ne perce qu’à travers quelques séquences oniriques. C’est dans le graphisme que cette tendance s’exprime : dans l’animation des personnages élastiques et crayonnés, qui donnent l’impression de contempler une surface ­irisée ; dans la topographie de Paris, ses murs de guingois et ses airs de provinciale… Dans cette séquence pétillante, enfin, réalisée dans le noir. Sensible, drôle, intelligent, Une vie de chat ne prévoit pas différents niveaux de lectures par génération mais une combinaison de références où chacun peut puiser. Autour d’un thème central : on peut s’échapper, prendre de la hauteur… Ne pas rater le court-métrage d’animation qui précède, tout en ombres de profil.

Culture
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