À contre-courant / Sortir du piège de la dette en Europe

Dominique Plihon  • 27 janvier 2011 abonné·es

Les économies européennes risquent de plonger en 2011 dans une récession durable accompagnée d’une montée du chômage de masse, à la suite des politiques d’austérité menées conjointement par les gouvernements de l’Union européenne (UE). Ces politiques, décidées pour « rassurer les marchés », sont socialement injustes et économiquement inefficaces. Socialement injustes parce qu’elles font porter le fardeau des ajustements sur les contribuables et sur les catégories sociales les plus défavorisées. Économiquement inefficaces parce que la spirale récessive qui va frapper les pays les plus fragiles (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) réduira leur capacité de remboursement. La dette grecque pourrait ainsi passer de 125 % à 165 % du PIB dans les prochaines années.

Sortir du piège de la dette est une nécessité impérieuse ! Cela impose d’alléger rapidement le poids du service des dettes publiques en restructurant celles-ci. Cette restructuration peut prendre trois formes complémentaires : un rééchelonnement de la dette, une dispense de paiement des intérêts, et une réduction de la dette elle-même, de l’ordre de 50 % dans le cas de la Grèce. Cette restructuration inévitable aboutira à un nouveau partage du poids de la dette, une partie du fardeau étant reportée sur les créanciers (investisseurs). Deux raisons justifient ce choix. D’abord, le caractère illégitime de la dette : le gonflement brutal des dettes publiques est le résultat de la socialisation des dettes privées causées par la spéculation et la prédation des acteurs financiers responsables de la crise.

Deuxième raison : les expériences récentes de restructuration de la dette ont montré qu’elles avaient aidé les pays concernés à sortir de la crise. On peut citer à ce sujet le cas de l’Islande, dont les citoyens ont refusé massivement (à 93,5 %), par un référendum le 6 mars 2010, de rembourser la dette contractée par leurs banques lancées dans une spéculation folle. Cette restructuration, couplée à une dévaluation, a permis à l’Islande, dont l’activité a redémarré et le taux de chômage a baissé, de sortir du piège de la dette. Par contraste, l’Irlande, qui a décidé de faire payer intégralement la charge de sa dette à ses contribuables en imposant à ceux-ci une cure d’austérité violente, est en proie à une récession profonde et à un chômage massif.

Restructurer conjointement et rapidement les dettes publiques des pays les plus touchés par la crise est le seul moyen de desserrer à court terme l’étau de la dette et de conjurer le risque d’une crise globale dans la zone euro. L’une des conséquences possibles de la restructuration est de mettre en difficulté les banques de la zone euro, plus particulièrement les banques françaises et allemandes qui détiennent des créances importantes sur les pays les plus endettés. Deux réponses pourront être apportées à cette défaillance. Premièrement, les État doivent nationaliser ces banques qui ont spéculé sur la dette des pays les plus vulnérables ; ainsi pourrait se constituer l’amorce d’un pôle bancaire public en Europe. Deuxième mesure : la Banque centrale européenne doit financer par la création monétaire les dépenses publiques occasionnées par la recapitalisation des banques en difficulté. Cette intervention de la BCE serait pleinement justifiée car l’une de ses fonctions est de contribuer à la stabilité des systèmes bancaires.

Bien entendu, la restructuration des dettes ne sera pas suffisante pour sortir de la crise « par le haut ». Deux autres ruptures par rapport aux politiques néolibérales devront être mises en œuvre. Tout d’abord, « désarmer les marchés » par un ensemble de mesures comme l’interdiction des fonds spéculatifs, la fermeture des marchés tels que ceux des credit default swaps (CDS), dont l’objet est de spéculer sur le risque défaut des pays les plus vulnérables. En second lieu, il faut réformer les politiques économiques dans l’UE, fondées sur la concurrence (fiscale, sociale) entre les pays. L’objectif doit être d’organiser des politiques communes, fondées sur la solidarité, destinées à mutualiser les risques entre pays européens, et à lancer de grands projets paneuropéens innovants, tels le ferroutage et les énergies alternatives. Politique qui contribuerait à jeter les bases d’une Europe écologique et solidaire.

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