Abdejalil Bedoui : «La composition du gouvernement ne correspond pas aux aspirations des Tunisiens»

A peine annoncé, le gouvernement d’union nationale est aux prises avec sa première crise et la démission de trois ministres appartenant au syndicat UGTT (Union des travailleurs tunisiens). L’économiste Abdejalil Bedoui a enseigné à Science Po Grenoble et à l’université de Tunis. Expert auprès de l’UGTT, il a refusé ce mardi le poste de ministre auprès du Premier ministre Mohamed Ghannouchi. Explications.

Jean Sébastien Mora  • 19 janvier 2011 abonné·es
Abdejalil Bedoui : «La composition du gouvernement ne correspond pas aux aspirations des Tunisiens»

Pourquoi avez-vous refusé d’intégrer le gouvernement d’unité nationale ?

Abdejalil Bedoui : La composition ne correspond pas aux aspirations de la majorité des Tunisiens. Les membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) sont trop représentés. Certains étaient des proches du président Zine El Abidine Ben Ali et ne doivent pas occuper des fonctions aujourd’hui. On attend d’autres figures politiques pour un gouvernement de transition. N’oublions pas que le parti est encore au pouvoir. Comment ne pas voir dans la composition du gouvernement une volonté de le conserver ? Nous sommes trois ministres appartenant à la centrale syndicale UGTT à démissionner. Anouar Ben Gueddour, secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport et de l’équipement, Houssine Dimassi, ministre de la Formation et de l’emploi et moi-même, ministre auprès du Premier ministre Mohamed Ghannouchi. C’est une décision qui a été prise en accord avec le bureau national de l’UGTT.

Ridha Grira à la Défense et Kamel Morjane aux Affaires étrangères sont-ils les ministres proches de Ben Ali auxquels vous faites référence ?

Je ne veux pas citer des noms mais je peux vous dire que je ne suis pas opposé au fait que certains membres du parti RCD restent au gouvernement provisoire. Le parti du président déchu est présent à tous les niveaux de la société tunisienne. Évincer tous ses membres fragiliserait considérablement le pays, voire provoquerait son éclatement. C’est ce qui s’est passé en Irak lorsque l’on a exclu systématiquement les membres du parti Baas, le parti de Saddam Hussein. Je suis plus en faveur d’un modèle du type Afrique du Sud, avec la mise en place d’un processus de transition constitutionnelle et d’une commission de conciliation. Hélas, Ghannouchi semble vouloir préserver les intérêts de son parti alors qu’il faut au contraire donner un message fort à la population et offrir des garanties au processus démocratique.

Vous critiquez également la non représentation des partis politiques considérés encore comme illégaux ?

Oui mais cela ne paraît pas le plus important. Il s’agit d’un gouvernement provisoire chargé des affaires courantes, de la rédaction de la constitution et de l’organisation des élections à venir. Si le processus risque de ne pas être juste et équitable, c’est surtout parce que le RCD est trop représenté. Un autre élément déterminant : d’emblée, Ghannouchi ne respecte pas les accords de principe. Le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalem Jrad, avait convenu avec Ghannouchi d’annoncer le gouvernement mardi, après consultation et validation menées en interne à l’UGTT. Les deux parties étaient d’accord sur ce principe, mais Ghannouchi a procédé à l’annonce du gouvernement hier après-midi, prenant le syndicat de court.

Quelle va être la réaction de la population et de l’opposition ces prochains jours ?

On peut s’attendre à de nouvelles manifestations dans la rue du pays et à ce que d’autres membres du gouvernement démissionnent. Je pense notamment à Moustafa Ben Jaafar, président du Forum démocratique pour le travail et la liberté (FDTL) qui a été nommé ministre de la Santé. Nous attendons la réponse du premier ministre Ghannouchi. Nous espérons qu’il propose dans les jours à venir un autre gouvernement beaucoup plus respectueux des forces en présence et des engagements démocratiques à prendre.

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