Le culte de la performance

L’enquête Pisa de l’OCDE sur les performances des élèves pointe le creusement des inégalités. Elle sert aussi une politique néolibérale défendue par la même organisation ainsi que par le gouvernement.

Thierry Brun  • 27 janvier 2011 abonné·es

Le 7 décembre dernier, la machine gouvernementale s’est mise en branle puis emballée autour d’une enquête internationale sur l’école, au succès médiatique planétaire. Le ­mi­nistre de l’Éducation, Luc Chatel, assure en personne la présentation des résultats 2009 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), une évaluation triennale pilotée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), chantre du néolibéralisme. Ce thermo­mètre international évalue les compétences d’un échantillon d’élèves de 15 ans dans les domaines clés de la maîtrise de la lecture, des mathématiques et des sciences. Les jeunes y sont également interrogés sur leur parcours, leurs habitudes d’apprentissage, leur motivation, le climat scolaire, etc.

Il ressort de ces évaluations un classement des systèmes éducatifs de 65 pays selon leurs performances, très prisé par les gouvernements. La France se classe à la 22e place et se singularise par de fortes inégalités. « L’étude renouvelle ce constat accablant mis notamment en exergue par les travaux des sociologues Baudelot et Establet à partir du Pisa 2006 : l’école française reste profondément inégalitaire avec des écarts qui se creusent entre forts et faibles, entre filles et garçons, entre enfants des milieux populaires et enfants des familles aisées » , constate le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire représentant les instituteurs et les professeurs des écoles. L’étude confirme aussi que les programmes fonctionnent pour l’élite et que les élèves issus de l’immigration ont deux fois plus de risques d’être en échec scolaire que les autres élèves.

« Pisa ne nous dit rien sur ce que nous devons faire pour nous améliorer. Car les deux pays qui arrivent en tête, la Finlande et la Corée du Sud, ont tous deux de très bons résultats mais sont opposés dans leurs principes, leurs modes de fonctionnement et leurs méthodes. Moins que jamais nous ne pouvons utiliser Pisa pour nous exonérer d’une réflexion sur notre propre système scolaire et éducatif » , affirme le spécialiste de l’éducation Philippe Meirieu.
À l’opposé, Luc Chatel voit dans les résultats de Pisa un encouragement pour justifier la politique éducative et les choix budgétaires du gouvernement : « Nous sommes dans la moyenne des pays de l’OCDE et globalement stables par rapport aux dernières enquêtes » , déclare le ministre, qui a pourtant quelques jours auparavant annoncé une nouvelle saignée dans les effectifs de l’école publique.

Pour la sociologue Nathalie Mons, « ces tests internationaux ont toujours présenté deux visages : un instrument scientifique qui vise à mieux comprendre les apprentissages des élèves et un benchmark [indicateur de performance] de politique nationale et de compétition internationale [^2] » . L’évaluation est ainsi censée susciter stimulation et compétition entre les acteurs et les écoles.
Loin de critiquer les « réformes » du mi­nistre Luc Chatel, la très libérale OCDE s’appuie sur les résultats de l’enquête Pisa pour émettre des constats généraux, qui tendent à devenir des recommandations. L’organisation internationale écrit par exemple que « les meilleurs systèmes scolaires sont les plus équitables » – et non pas « les plus égalitaires » . Les systèmes les plus performants ont tendance à privilégier le salaire des enseignants (plutôt que de réduire le nombre d’élèves par classe) et les chefs d’établissement doivent être des « leaders » .

Pour le ministre de l’Éducation nationale, ces analyses guidées par une vision libérale de l’éducation n’ont rien de choquant. À ses yeux, la hausse de 4,5 points [par rapport à 2006] du pourcentage d’élèves en difficulté (19,7 %) justifie la politique engagée depuis 2007, qui s’appuie notamment sur « le recentrage sur les fondamentaux » . Alors que les élèves français arrivent en 27e position pour ce qui concerne la culture scientifique, il a également annoncé la présentation d’un plan pour l’enseignement des sciences, mesure qu’il avait déjà promise pour décembre 2010…

On le voit, l’enquête Pisa de l’OCDE n’est pas qu’un outil statistique qui fait la une des grands médias. Au-delà de la lutte contre les inégalités dans le système éducatif, Pisa est un instrument de la concurrence entre les pays, et d’une action publique qui s’appuie sur le culte de la performance.

[^2]: Dans une tribune publiée par Libération du 24 décembre 2010.

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Une école pour l'élite ?
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