L’éducation prioritaire l’est de moins en moins

Si le gouvernement raffole des études de « performances », il néglige le bilan des ZEP et autres dispositifs. Sans doute pour masquer la réduction des moyens destinés aux plus défavorisés.

Thierry Brun  • 27 janvier 2011 abonné·es

Nicolas Sarkozy a souhaité dès 2005 « déposer le bilan » des zones d’éducation prioritaire (ZEP). Cette déclaration du chef de l’État ne repose sur aucune évaluation qualitative digne de ce nom. Car sur l’essentiel, à savoir le projet pédagogique devant animer ces établissements, les indicateurs manquent. On compte environ 700 ZEP (chiffre de 2005) regroupant un million d’écoliers et un demi-million de collégiens. Elles sont censées disposer de davantage de moyens et compter moins d’élèves par classe. Cette politique de soutien scolaire aux populations défavorisées a-t-elle contribué à réduire un peu les inégalités ? Trente ans après leur création par Alain Savary en 1981, on ne le sait pas vraiment. Il n’empêche que le sort des ZEP est déjà scellé en haut lieu, où l’on préfère la gestion individualisée à la lutte contre les inégalités. « Et cela sans aucun fondement scientifique : il n’y a jamais eu d’évaluation sérieuse des zones d’éducation prioritaire (ZEP). Le but est seulement la diversification des élites » , déplore le sociologue Benjamin Moignard [^2].

Les ZEP ont été intégrées dans les « réseaux d’éducation prioritaire » en 1997, puis sont progressivement remplacées depuis 2006 par les réseaux ambition réussite (RAR) et les réseaux de réussite scolaire (RRS). Le ministère de l’Éducation aime faire valser les sigles, au risque d’en faire oublier leur contenu et les implications concrètes sur le terrain. Il existe bien un rapport datant de 1997 (rapport Moisan-Simon) qui constitue une première tentative d’évaluation des effets de la politique d’éducation prioritaire. Mais, dans les grandes lignes, ses auteurs constatent que plus une ZEP est grande en nombre de collèges, plus les chances d’y « réussir » se dégradent. L’efficacité des ZEP dépend aussi du niveau de chômage ou de pauvreté que connaissent les parents. Le ­rapport pointe également le manque de formation et de relais au niveau national pour piloter une ZEP.

Une autre étude, publiée par l’Insee en 2003, privilégiait quant à elle les indicateurs de réussite scolaire et ne mesurait pas le contexte social. Elle concluait que « la mise en place des ZEP n’a eu aucun effet significatif sur la réussite des élèves, mesurée par l’obtention d’un diplôme, l’accès en quatrième, en seconde, et l’obtention du baccalauréat » . Un rapport publié en 2005 porte sur les « facteurs de performance » des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Il montre cependant « que certains établissements situés dans un contexte très défavorisé obtiennent de bons ou de meilleurs résultats que ceux attendus » , note le Syndicat national des enseignants du second degré (Snes).

Dernier bilan des politiques d’éducation ­prioritaire, celui de la Cour des comptes, ­publié en 2009, dresse un constat édifiant : « La France est un des pays où les destins scolaires sont le plus fortement corrélés aux origines sociales ». La Cour recommande de « donner aux équipes des moyens dans le cadre de contrats d’objectifs pluriannuels » et de « systématiser les affectations sur profil des responsables et des enseignants » .

Au contraire, les moyens n’ont jamais été à la hauteur des enjeux, déplore le Snes. « Les différents gouvernements depuis 2002 n’ont eu de cesse de dénigrer les résultats de l’éducation prioritaire pour imposer progressivement l’idée d’une aide ponctuelle sur des individus plutôt que d’une discrimination positive sur des territoires » , accuse le syndicat d’enseignants, qui considère ces réformes comme des « laboratoires de la déréglementation sous couvert d’expérimen­tations tous azimuts » et dénonce le peu d’études sérieuses sur l’éducation prioritaire.

La carte des ZEP a été dynamitée sans qu’on sache vraiment pourquoi. Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, a lancé en 2010 son programme Clair, pour « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite » . Présenté comme une expérimentation dans quinze établissements « concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence » , ce programme devrait être étendu à la rentrée 2011. Sera-t-il un jour évalué de manière objective ? On peut en douter.

[^2]: Le Monde du 4 janvier 2010.

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Une école pour l'élite ?
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