Les Haïtiens indésirables en France

Après le séisme en Haïti, le gouvernement français avait promis de faciliter l’accueil des rescapés. Un an après, ceux-ci connaissent les pires embûches pour entrer sur le territoire.

Xavier Frison  • 20 janvier 2011
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Les Haïtiens indésirables en France
© www.pafha.fr, www.ldh-france.org, www.gisti.org Photo : Acosta / AFP

Le bilan déjà effroyable du séisme du 12 janvier 2010 en Haïti vient d’être revu à la hausse par les autorités locales : 316 000 morts et 350 000 blessés. Un million et demi de sans-abri, un pays exsangue, une administration à terre. Et le souvenir de belles promesses formulées par Éric Besson, ministre de l’Immigration à l’époque de la catastrophe.

C’est un communiqué poignant, daté du 14 janvier, dans lequel un Besson lyrique ose tout : « La réaction de la France doit être à la hauteur de sa tradition républicaine d’accueil, de solidarité et d’humanité, et des liens historiques et culturels profonds qu’elle entretient avec le peuple haïtien. Dans des circonstances aussi effroyables et douloureuses, tous nos efforts doivent se concentrer sur l’aide aux Haïtiens. » Dans le même ­souffle, le ministre annonce un « dispositif exceptionnel et temporaire d’accueil des victimes en France » , « un allégement des conditions du regroupement familial » et des « facilités accordées pour la délivrance des visas pour visites familiales » .

Hélas, un an après la catastrophe, force est de constater que la France agit avec les Haïtiens comme avec les Kosovars, les Kurdes ou les Pakistanais en demande d’asile : regroupements familiaux empêchés par tous les moyens, même les plus vils (voir encadré), visas délivrés au compte-gouttes, rétentions abusives en zone d’attente, expulsions inhumaines, agissements à la limite de la légalité. Résultat : « Sur 3 000 dossiers de regroupement familial dont nous avons connaissance, seuls 500 ont reçu un avis favorable à ce jour » , constate Mackendie Toupuissant, président de la Plateforme d’associations franco-haïtiennes, qui regroupe une trentaine de structures.

« Le problème haïtien rend visible ce que vivent tous les étrangers et les demandeurs d’asile avec ce gou­vernement , affirme Jean-Pierre Dubois, le président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). On aurait pu penser que la France traiterait les dossiers de ces étrangers de façon moins scandaleuse que d’habitude. Malheureusement non. Il ne s’agit pas seulement d’une question huma­nitaire, mais de déni du droit. » Le droit au séjour, garanti par la Convention européenne des droits de l’homme et la loi française, devrait s’appliquer. « Encore faut-il que l’ambassade de France en Haïti accorde du crédit à l’identité des demandeurs et à leurs liens familiaux avec la France » , s’inquiète Marie Duflo, du Gisti. Avec les millions d’actes de naissance ou de décès disparus dans la poussière, il est par exemple impossible de prouver, pour un jeune mineur, que toute sa famille repose sous les décombres. Adieu donc au statut de « mineur isolé ». Et comme « la représentation française en Haïti est la même “machine à douter” qu’ailleurs dans le monde »

Pour ceux qui parviennent à atteindre le territoire français, le chemin de croix continue. Dans les derniers jours de décembre 2010, 75 Haïtiens débarquent à Paris et demandent leur admission au titre de l’asile. Placés en zone d’attente, retenus plus que de raison, ils sont finalement tous admis sur le territoire. Les longues et fastidieuses démarches pour le statut de réfugié peuvent commencer. Au-delà d’un accueil fort peu républicain, la réaction du 29 décembre sur RFI de Didier Le Bret, ambassadeur de France en Haïti, laisse pantois : « Ces personnes ont abusé d’un programme d’échange d’étudiants mis en place entre Port-au-Prince et Cotonou. […] Il est malheureux que 75 ressortissants haïtiens aient pu détourner d’une certaine manière ce programme. » Pas du tout d’accord avec cette analyse, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) rappelle que la sollicitation de l’asile « est un droit fondamental, ayant valeur constitutionnelle. […] Exercer ce droit ne peut en aucun cas être assimilé à un détournement ou un abus » .

Sur le plan individuel, l’Anafé regorge d’exemples révoltants. Ainsi cette mineure, dont ­l’oncle et la tante sont français, mais la mère en situation irrégulière en France. À l’aéroport, la tante, venue chercher sa nièce, est placée en garde à vue ; la jeune fille se retrouve en zone d’attente. Elle y a peut-être croisé une femme retenue quatre jours en ­raison d’une page illisible sur son passeport passé dans la centrifugeuse du tremblement de terre…

Dans les locaux de la LDH, Maxène Castor, un solide gaillard aux yeux tristes, raconte comment il se bat pour son fils de 11 ans, coincé à Haïti : « Il vit sous tente, dans une situation catastrophique. Malgré mes démarches auprès des administrations françaises, il est impossible de le faire venir. » Sa demande de regroupement familial a été ­re­fusée pour cause de logement trop exigu au regard de la loi. Debout derrière lui, l’air grave, un militant associatif ironise : « Le bien des enfants avant tout, n’est-ce pas ? »

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