Netcacao ne veut pas être chocolat

La chocolaterie de Saint-Menet se bat pour sa survie, après avoir perdu son partenariat avec Nestlé. Alors que le gouvernement prétend faire de l’industrie sa priorité, les pouvoirs publics ne se mobilisent guère.

Sébastien Boistel  • 20 janvier 2011 abonné·es
Netcacao ne veut pas être chocolat
© Photo : POUJOULAT / AFP

Ce qui frappe d’abord, c’est l’odeur. Au bord de l’autoroute, à deux pas du centre commercial de la Valentine, dans l’est marseillais, l’odeur de chocolat l’emporte sur celle des gaz d’échappement. Sur des silos, un nom se détache : Netcacao. Depuis 1952, la chocolaterie de Saint-Menet embaume les environs. Elle a pourtant connu des moments difficiles. En 2004, Nestlé, après avoir transféré une partie de sa production en Espagne et en Italie, avait décidé de fermer ce site employant 427 personnes. Commence alors un bras de fer qui s’achèvera par la victoire des travailleurs. En 2006, la chocolaterie est reprise par ­Net­cacao, filiale d’un groupe ­agro­alimentaire, et la multinationale helvétique est contrainte par une convention de maintenir la production de Netcacao. 180 emplois sont sauvés [^2].

Mais aujourd’hui, la chocolaterie tourne au ralenti. La faute à la flambée des prix des matières premières, celui du cacao ayant augmenté de 30 % en un an. Mais en partie seulement. La convention qui obligeait Nestlé à travailler avec les nouveaux propriétaires s’est achevée fin 2009. Cet accord commercial représentait près de la moitié de l’activité de Netcacao. Mais les litiges se sont multipliés.

En ce mois de janvier, l’entrepôt où sont réceptionnées les fèves est vide. Et si les salariés sont là, fidèles au poste, les chaînes de production sont pour la plupart à l’arrêt. Les visages sont fermés, l’inquiétude est palpable. Ce qui n’empêche pas Pierre-Yves de s’extasier devant les quelques machines qui tournent : « Faut voir quand on est à plein régime. Ça vibre de partout ! » Grimace d’un collègue : « C’est triste de voir notre usine comme ça. On tient sur les fèves qui nous restent de la semaine dernière. Mais après, on sera à sec… »

Pourtant, les carnets de commande sont plutôt bien garnis. En 2010, avec un chiffre d’affaires de près de 30 millions d’euros, Netcacao a accusé une perte de 3 millions d’euros. En 2009, elle faisait encore des bénéfices, misant sur un retour à l’équilibre pour cette année ou l’année prochaine. D’ailleurs, depuis 2006, une vingtaine de millions d’euros ont été investis dans cette usine qui envisage toujours d’ouvrir une nouvelle ligne afin de renforcer sa capacité de production. Elle réalise 40 % de son chiffre d’affaires avec les tablettes de ­chocolat, 40 % avec les produits industriels et 20 % avec les produits semi-industriels.

Depuis 2010, « on se retrouve dans une situation d’asphyxie financière , constate Norbert Sanchez, le délégué CGT. On ne demande pas l’aumône. Juste un prêt. On a besoin de 8 millions d’euros pour constituer un fonds de roulement qui nous permettrait d’acheter les fèves dont nous avons besoin afin d’honorer nos commandes et d’assurer la marche normale de l’usine. Or, les banques refusent de nous accorder ce prêt. Pourtant, l’usine a été évaluée à près de 40 millions d’euros et les carnets de commande sont loin d’être vides. Résultat : nous sommes obligés d’acheter nos fèves au coup par coup » .

Pire ! Le fisc doit 580 000 euros à Netcacao. Or, jusque récemment, ce trop-perçu était bloqué. Ce n’est que la semaine dernière que l’entreprise a reçu une « attestation qui devrait permettre de débloquer l’argent. Sauf que cela peut se faire plus ou moins rapidement, déplore le syndicaliste. Or, si cet argent arrive trop tard, on ne pourra reprendre la production qu’au bout de plusieurs jours. Ce qui risque de mettre en péril non seulement la paie de janvier des salariés, mais aussi les commandes à honorer et le paiement de nos fournisseurs. Ces derniers ont su jusque-là se montrer plutôt compréhensifs. Mais jusqu’à un certain point… » . Le danger ? Que les clients se détournent et que les quelques investisseurs avec lesquels Netcacao discute en ce moment renoncent à lui prêter main-forte. Voilà pourquoi direction et syndicats travaillent « en bonne intelligence », interpellant pouvoirs publics et collectivités territoriales.

La semaine dernière, les salariés de Netcacao, aux côtés de ceux de Fralib (lire ci-dessous) et des postiers du IIe arrondissement de Marseille – en grève depuis plus de cent jours ! – ont manifesté sous les fenêtres du préfet des Bouches-du-Rhône, Hugues Parant, demandant à le rencontrer. « On est bêtes et disciplinés , sourit Norbert Sanchez. Lorsqu’il est arrivé à Marseille, ce préfet s’est dit sensible à la vie des entreprises. Et puis il est le représentant d’un État dont le chef a dit, lors de sa visite de l’entreprise Eurocopter à Marignane, sa volonté de faire de l’industrie une priorité. » Mais, au motif que ce rassemblement était à l’initiative des forces de gauche, le préfet se cachera derrière « l’exigence de neutralité » qu’il doit respecter « à l’égard de toute démarche partisane » pour ne recevoir personne, expliquant dans une missive lapidaire que « les services de l’État ont été mobilisés dans toute l’étendue de leurs compétences » . Une attitude radicalement différente de celle des services préfectoraux en 2006, à qui le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, avait demandé de tout mettre en œuvre pour trouver une alternative à la fermeture de la chocolaterie.

De quoi provoquer la colère des salariés. Mais aussi celle des élus. Notamment Jean-Marc Coppola, vice-­président (PCF) du conseil régional et élu marseillais : « Il y a non-assistance à salariés et à entreprises en danger. Alors qu’on a là une entreprise viable, des salariés qui veulent travailler, on peut se demander ce que cache ce refus de dialogue. » Et d’expliquer que « la Région ira au-delà d’un simple soutien politique : nous allons intervenir auprès de la Caisse des dépôts car Netcacao a besoin d’une caution pour que les banques lui prêtent de l’argent, et nous sommes prêts à intervenir, avec d’autres collectivités, jusqu’à 25 % dans la nouvelle ligne de production dans laquelle Netcacao veut investir » .

Le tribunal de commerce, après avoir accordé début janvier un mois de sursis à la chocolaterie, se prononcera le 2 février sur une éventuelle liquidation, un redressement judiciaire ou une poursuite d’activité. Malgré cela, la détermination des salariés reste intacte : « Quand on est petit et que l’on a gagné contre les gros, ces derniers vous le font payer d’une manière ou d’une autre , explique le délégué CGT. Mais pas question de baisser les bras. Aujourd’hui, nous sommes calmes. Ça ne va peut-être pas durer… » Et quand on demande à Pierre-Yves s’il a encore de l’espoir : « Vous savez, tant qu’on respire, c’est qu’on est encore vivant » , répond-il. Dans l’air, derrière le chocolat, ça ne sent pas la fin mais le soufre.

[^2]: En outre, en 2010, Nestlé a été condamné à indemniser 140 des anciens salariés, leur licenciement économique étant jugé « dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Les prud’hommes ont estimé que « la réorganisation [planifiée par Nestlé] n’était pas justifiée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe auquel il appartenait ».

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