Questions d’images

À propos d’une critique parue sur acrimed.org de la couverture de notre hors-série « Changer de société ».

la rédaction  • 14 janvier 2011 abonné·es
Questions d’images

Illustration - Questions d'images

Sur le site d’Acrimed, Olivier Aubert, journaliste et photographe indépendant, a récemment publié une critique sévère de la photographie de une de notre dernier hors-série (oct.-nov. 2010), intitulé Changer de société. Celle-ci représente un jeune homme métis, détendu, sourire aux lèvres, habillé avec goût et sobriété, assis derrière un bureau avec, posée à côté de lui, une lampe de travail, dans un décor décalé, un jardin.

Olivier Aubert s’indigne que cette image ait pour provenance Getty Images, « l’une des principales banques d’images mondiales (…) aujourd’hui propriétaire de fonds de pension américains » . Il y voit le signe d’un mouvement plus général, auquel Politis succomberait après la plupart des autres médias, où les sujets concernant les questions de société sont désormais principalement illustrés par ce type d’images, qui appartiennent, selon lui, non pas au domaine de l’information mais à celui de la publicité.

S’il est un point que nous ne lui contesterons pas, c’est que l’image que nous avons choisie pour cette une est signée, effectivement, Getty Images, dont la production est diffusée par l’AFP, agence de presse dont les services sont indispensables à un hebdomadaire qui se veut généraliste. En revanche, il nous semble utile d’apporter ici quelques précisions sur nos pratiques professionnelles et les conditions dans lesquelles nous les exerçons. Les méconnaître ne permet pas de prendre toute la mesure du débat soulevé par Olivier Aubert.

Les journaux utilisent beaucoup plus de « photos d’illustration » – qui se distinguent, dans le langage du métier, des « photos d’information » – que par le passé. Ce n’est pas seulement parce que la presse de divertissement, de consommation ou people s’est développée. C’est aussi parce que les nouveaux moyens de communication, Internet en particulier, ont pris de vitesse tous les journaux, y compris les quotidiens, en ce qui concerne l’information « brute ». La presse classique a dû ainsi développer sa dimension magazine, dont l’une des caractéristiques est de prendre du recul par rapport aux événements, de les mettre en perspective. Or, les sujets ainsi traités, moins collés aux faits, se réfèrent davantage à des idées ou à des abstractions, par définition plus difficiles à figurer au sens propre du terme (exemples : quelle illustration pour des articles sur les 35 heures, sur la volonté de contrôle d’Internet, ou… sur les aspirations à un changement de société ?). D’où le recours à ce qu’on appelle les « photos d’illustration » ou les « photos de concept ». Mais, pour autant, celles-ci ne sont pas vouées à n’être le fruit que de banques d’images mondialisées, dont certaines se trouvent être en effet la propriété de fonds de pension. Les « photos d’illustration » peuvent très bien être produites par des photographes indépendants, ou par des graphistes, ou par des dessinateurs de presse (la « photo d’illustration » devenant alors un dessin d’illustration), comme Aurel, qui, avec le talent qui est le sien, nous en fournit de très souriantes. Ce n’est pas une question de nature d’image, mais d’ usage .

Mais alors, pourquoi Politis utilise-t-il des photos issues de ces fameuses banques d’images, notamment pour ce hors-série, qui, faut-il le préciser, n’est pas forcément représentatif d’un hebdomadaire qui publie chaque année 48 numéros d’actualité ? La réponse tient en grande partie dans les contraintes auxquelles nous devons chaque jour faire face. Ces banques d’images ont effectivement entendu les besoins formulés par les médias et offrent désormais une très large palette de choix d’images en un temps de recherche concentré et à des coûts raisonnables. Or, pour une structure de presse comme Politis , dont les moyens humains sont limités, les possibilités financières comptées, et dont le rythme hebdomadaire s’apparente sous certains aspects à une activité de flux, ce service proposé s’avère non négligeable.

Par ailleurs, qu’on le déplore ou non, Politis se situe dans un marché concurrentiel, celui de la presse. Et ce marché est d’autant plus violent, intransigeant que Politis se revendique avec raison « indépendant et engagé » et, de surcroît, est de taille modeste. Si l’on ajoute à cela la crise de la lecture des journaux, dont on sait que les jeunes se détournent toujours plus, c’est la survie de notre journal qui est en jeu. Celle-ci passe notamment par une recherche incessante de nouveaux lecteurs. C’est pourquoi les mots « séduire », « désir » ou « achat », qu’emploie dans son article Olivier Aubert de façon très péjorative, ne nous font pas honte, au contraire. Si l’on souhaite que Politis continue à faire résonner sa petite musique différente dans le paysage médiatique, il doit aussi être un journal séduisant, attractif, qui suscite le désir d’achat, sans que celui-ci devienne pour autant un objet de consommation comme un autre. L’image a dans cette perspective un rôle évidemment déterminant.

Cela étant dit :

1/ Le rôle de l’image dans Politis ne se réduit pas à cela. Et nous souhaitons à ce sujet rassurer notre confrère qui craint que la rédaction de Politis fasse l’économie de débats internes sur ces questions. Si notre réflexion sur l’utilisation des images a connu des périodes fastes et moins fastes depuis la création de notre hebdo, il y a 23 ans, elle s’est développée ces dernières années, en particulier depuis que les salariés du journal sont devenus propriétaires du titre, à la fin de l’année 2006, et que de nouveaux collaborateurs, qui travaillent au quotidien sur les représentations visuelles, ont rejoint notre équipe. Ainsi, tout en ayant presque continuellement « le nez dans le guidon », nous ne cessons de nous préoccuper de la dimension informative des photographies, des rapports entre image et texte, du contenu et de la nature des légendes, de ce que pourrait signifier « une image Politis  », et, plus généralement, de tous les éléments formels de notre journal. Car nous avons conscience que la forme, inextricablement liée au fond, agit sur la configuration des regards et sur la construction des représentations.

2/ Nous avons précisément entamé une réflexion sur la possibilité d’élargir nos ressources en matière d’images et de photographies, en particulier du côté des collectifs de photographes indépendants, afin de mieux mettre en accord nos pratiques et les valeurs que nous défendons. Nous ferons en sorte que cette réflexion débouche sur des décisions concrètes.

La rédaction de Politis .

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