Ça mange pas de pain

Sur TF 1, Nicolas Sarkozy s’est offert un exercice de communication déployé comme du papier à musique.

Jean-Claude Renard  • 17 février 2011 abonné·es
Ça mange pas de pain

Pipés à l’avance étaient les dés. À l’invitation de TF 1 [^2], Nicolas Sarkozy a donc remis le couvert, un an après cette première formule baptisée « Paroles de Français », inaugurée en janvier 2010. Neuf personnes choisies par TF 1 (contre 11 l’an passé). En guise d’animateur, Jean-Pierre Pernaut, le monsieur 7 à 8 millions de téléspectateurs de la chaîne, qui est au journalisme ce que les frères Bogdanov sont à la rigueur scientifique. JPP donc, en VIP pur jus de la voix de son maître, en transe devant le dernier cassoulet authentique dans l’encolure toulousaine, le dernier sabotier authentique de Savoie, la dernière boulangère authentique du Poitou. Pour l’authentique, justement, TF 1 a sélectionné un panel de Français représentatif de l’Hexagone (puisant dans ses JT déjà diffusés, c’est-à-dire peu représentatif) « chacun des témoins incarnant une problématique de société » , selon la chaîne. Ainsi, une pharmacienne, une enseignante, un agriculteur, un médecin de campagne, une chef d’entreprise, une commerciale qui a retrouvé du travail, un ouvrier soudeur, un retraité directement touché par la dépendance de sa femme et un étudiant. Un casting de gens ordinaires pour un concept clair : les personnes sélectionnées interrogent le président de la République sur leur préoccupation. Loin d’une conférence de presse et de journalistes (éventuellement) pugnaces mais, garantissait la chaîne, « les personnes présentes sur le plateau pourront poser toutes les questions qu’elles souhaitent poser » . Et de préciser : « Les sujets abordés seront ceux qui ont marqué l’actualité en 2010 : le pouvoir d’achat, l’emploi, l’éducation, les retraites, la sécurité. » Du sur-mesure pour Nicolas Sarkozy, grand bateleur devant les caméras, glissant facilement du fait divers au discours démagogique à des fins politiques. L’enjeu : reconquérir l’opinion publique. Quatre-vingt-dix minutes en reconquête. Sans pub. Hardi petit !

Si les invités faire-valoir ont déjeuné ensemble auparavant, mis au parfum par « Monsieur Pernaut » , selon l’expression de Sarkozy, le journaliste entame son service par la sécurité à travers la voix de la pharmacienne, braquée à plusieurs reprises. « A-t-on arrêté les coupables ? » , s’enquiert d’emblée Sarkozy. Avant de soigner la droite populiste, d’appeler à des jurés populaires, de se dresser un bilan de la délinquance (faussement) flatteur (pourcentages à la clé, en incrustation, flottant sur l’écran), de minimiser la grogne des magistrats (qui n’a rien « d’historique » ). Avec l’« affaire Laëtitia » comme point d’orgue pour relancer la machine compassionnelle. Et d’annoncer plus de prisons, plus de peines, plus d’incarcérations. Sans réponse claire sur la prévention, ni mot sur la police de proximité.
Passé le chapitre emploi qui se veut rassurant devant un ouvrier soudeur, avançant 500 millions d’euros d’aides aux chômeurs de longue durée, « Monsieur Pernaut » offre un aparté pour justifier le voyage de François Fillon en Égypte. « Pas un centime de l’argent public n’a été dépensé » , assure le Président. Quid de la « République irréprochable »  ? Pas un centime français, en effet, aurait pu répliquer JPP, mais l’argent du contribuable égyptien. Faut circuler, il n’y a rien à voir. Puis retour de l’affect avec la dépendance et l’épouse atteinte de la maladie d’Alzheimer d’un retraité photographe devant lequel Nicolas Sarkozy garantit son aide au « grand âge » . Promesses d’abord. Les vieux constituant l’élément fort de son électorat, ça ne mange pas de pain.

C’est entendu, la soirée s’enfonce dans la nuit, poussive, dépasse largement la durée annoncée sur un train de sénateur. À la même heure, l’Égypte joue une partie de son avenir. Entre deux sujets, JPP relaie des questions Internet, distille de minireportages. Il plastronne dans l’estompage et l’épure. Complaisant à souhait, guidé par une oreillette. Aucune relance mais un exercice de passe-plats interrompant même l’agriculteur quand celui-ci, seul faire-valoir indocile, se montre insatisfait. En soi, un scandale journalistique. En amont, dans le Canard enchaîné de ce mercredi 9 février, un dessin de Mougey avait donné le ton : on y voit, au maquillage dans les studios de TF 1, Nicolas Sarkozy se faire cirer les pompes par Jean-Pierre Pernaut. « Laisse, Jean-Pierre, tu finiras pendant l’émission. » Dont acte.

[^2]: Les malheureux lecteurs de Télé 2 semaines attendaient ce jeudi 10 février un épisode de Julie Lescaut.

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