Créolité au carré

Des Cubains d’origine haïtienne ont formé un superbe chœur qui donne une nouvelle vie à des chants anciens.

Denis Constant-Martin  • 24 février 2011 abonné·es

Des voix magnifiques aux timbres typés et puissants, des arrangements qui en font ressortir la variété en des assemblages aux multiples couleurs soutenus par une basse vocale et des percussions, des jeux sur les appels et répons qui donnent aux mélodies une dynamique formidable. Telle est l’impression qui s’impose à la première écoute de ce chœur. Puis, derrière des contours mélodiques caractéristiques de Cuba, derrière les accents de la clave énoncés par les percussions, s’entendent des paroles en créole à base française. C’est que les dix chanteurs du chœur (six hommes et quatre femmes) appartiennent à un groupe de desandann (descendants) installés dans la ville de Camagüey, au centre-est de l’île.

Leurs ancêtres sont venus d’Haïti en plusieurs vagues : pendant la révolution haïtienne, comme esclaves forcés d’accompagner les planteurs fuyant le soulèvement ; dans les années 1920-1940, lorsque les plantations de canne cubaines accueillaient volontiers une main d’œuvre bon marché ; plus récemment, lorsque la misère poussait à tenter de franchir sur de frêles esquifs les quelque cent kilomètres qui séparent Haïti de Cuba.

Le créole s’est maintenu au sein cette communauté, comme les répertoires de chansons, renouvelés par les arrivées successives de nouveaux immigrants, de sorte qu’aux héritages de la révolution haïtienne sont venus s’ajouter des chants de lutte anti-duvaliéristes et des évocations de la misère du XXe siècle. Les membres du chœur eux-mêmes sont revenus en Haïti. En 2010, après le tremblement de terre, ils ont accompagné les équipes médicales cubaines et sont allés chanter dans les camps de réfugiés, réconfortant ceux qui avaient tout perdu et recueillant de nouveaux chants.

Musicalement, l’originalité du Chœur créole de Cuba réside dans ce mélange intime de patrimoines musicaux issus de Cuba et de Haïti, une forme de créolisation au second degré, qui donne aux élans parfois âpres des chants haïtiens, fortement marqués par la vocalité spécifique aux services vaudous, une profondeur et une souplesse qui sont, elles, le propre des polyphonies cubaines. Le Chœur créole de Cuba se produira pour la première fois en France sur la scène du New Morning à Paris, et pourrait revenir à l’occasion de quelques festivals d’été ; pour ceux qui ne pourront entendre ces artistes en direct, leur disque est indiscutablement un des plus beaux qui aient été publiés récemment sous l’étiquette « musiques du monde ».

Culture
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