Erreur d’aiguillage

La SNCF mise tout sur la rentabilité au lieu de s’emparer des enjeux d’avenir, notamment environnementaux.

Ivan du Roy  • 3 février 2011 abonné·es

La SNCF est à un moment charnière. Nombre de réformes internes ont été menées au nom de la rentabilité : fermeture de gares, abandon du fret, augmentation des tarifs, baisse d’effectifs, création de filiales à tout va, recours à la sous-traitance… Certes, une entreprise publique n’a pas vocation à ­demeurer un gouffre financier. Problème : dans la perspective de l’ouverture à la concurrence du « marché » ferroviaire européen, cette quête de rentabilité n’augure rien de bon. La question de la sécurité commence à se poser.

Combiner réseau vétuste, augmentation du trafic et arrivée de nouveaux opérateurs, c’est multiplier les risques, comme nous le rappelle l’accident ferroviaire qui s’est produit ce 29 janvier en Allemagne, où deux trains de compagnies différentes se sont percutés. Sans oublier la sombre expérience britannique, où la privatisation des lignes de chemin de fer sous Thatcher, et leur absence d’entretien au nom de la rentabilité, a été à l’origine d’une tragique série noire. Nous n’en sommes pas là, mais les « zones de flou » dans la sécurité sont telles que même le PDG de la SNCF, Guillaume Pépy, s’en inquiète.

Autre question : à qui profitera la rentabilité retrouvée ? La SNCF est (encore) une entreprise 100 % publique. En 2008 et 2009, elle a versé plus de 300 millions d’euros de dividendes à l’État. Cet argent n’a pas servi à rembourser la dette, ni été utilisé pour amortir la hausse des tarifs imposée à l’usager. Qu’en sera-t-il si le capital de la SNCF s’ouvre à des actionnaires privés ? On vous laisse deviner. Son homologue allemande, la Deutsche Bahn, qui prépare depuis deux ans son entrée en Bourse, est également vivement critiquée pour ses défaillances à répétition.

La France, comme l’Europe d’ailleurs, a cruellement besoin d’une véri­table vision ferroviaire. Le prix du pétrole, à près de 100 dollars le baril, est là pour nous le rappeler. Pour nombre de marchandises, le fret est une alternative aux poids lourds. Les trains « de proximité » peuvent aider à remplacer la voiture en ces temps d’étalement urbain frénétique. Encore faut-il anticiper les lignes à allonger, les réseaux à densifier. Bref, investir dans l’avenir. Certains, au sein de la SNCF, pensent que le jeu de la concurrence sur les grandes lignes n’est pas incompatible avec un réseau ferré de proximité, financé par les régions – donc les contribuables –, qui imposeraient un cahier des charges strict aux opérateurs (contrat de ponctualité, prix du billet…). À l’État de faire jouer la péréquation tarifaire, en faisant, par exemple, payer des péages plus chers sur les lignes rentables, ce qui financerait l’investissement dans les transports régionaux. Mais est-ce vraiment sur cette voie que se sont engagés la SNCF et son actuel ­propriétaire ?

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