Les magistrats sortent de leurs gonds

JUSTICE – Excédés par les accusations répétées de Nicolas Sarkozy et de ses ministres à leur encontre, les magistrats ont spontanément débrayé en fin de semaine dernière. Le mouvement, parti de Nantes, s’est rapidement diffusé dans la plupart des tribunaux, qui se réunissaient en ce début de semaine en assemblées générales. Les audiences non urgentes sont reportées et une manifestation nationale se tiendra à Nantes ce jeudi 10 février.

Erwan Manac'h  • 7 février 2011 abonné·es
Les magistrats sortent de leurs gonds
© Manifeste des acteurs de la justice à signer : http://bit.ly/fi0dtI Photo : JEAN SEBASTIEN EVRARD / AFP

L’indignation des magistrats répond à un énième coup de griffe de Nicolas Sarkozy contre leur fonction. Jeudi 3 février, au commissariat d’Orléans (voir vidéo), le président de la République accusait le tribunal de Nantes d’avoir « laissé sortir de prison » un « présumé coupable » , suite au meurtre d’une jeune femme à Pornic, dont le principal suspect, un récidiviste, était mis à l’épreuve après avoir purgé sa peine.

Quelques jours avant cette sortie présidentielle, le 31 janvier, les ministères de la Justice et de l’Intérieur pointaient déjà la responsabilité des magistrats de Nantes sur la base d’un pré-rapport de la mission d’inspection interne. Dans une affaire hautement médiatique, les deux ministères demandaient des « sanctions (…) au regard des fautes commises » .

Une accusation de trop, pour les syndicats de magistrats :
« Le plus insupportable est que ces accusations interviennent avant même que la commission d’inspection ait rendu ses conclusions » , explique le secrétaire national du Syndicat de la Magistrature (SM) Benoît Hurel à Politis.fr .

Manque de moyen

Dans cette affaire de meurtre, les syndicats de magistrats ne nient pas les dysfonctionnements de la justice. « Les magistrats de Nantes devaient établir des priorités dans leurs missions, ce qui est proprement scandaleux , insiste Benoît Hurel. Mais cela s’impose du fait du sous-effectif alarmant.»  

De la même manière, la Conférence des premiers présidents de cour d’appel estime dans un communiqué que le pouvoir tente de « reporter sur les magistrats et fonctionnaires la responsabilité des difficultés de fonctionnement que connaissent les tribunaux ».

Avant même le fait divers tragique, les syndicats n’avaient de cesse d’alerter sur la « situation critique du service d’application des peines de Nantes » et le manque criant d’effectifs, d’après un communiqué du SM.

Le manque de moyens est même devenu un leitmotiv pour les syndicats de magistrats, inquiets des conséquences de la réforme générale des politiques publiques (RGPP). D’autant que le nombre d’affaires est en augmentation du fait des réformes successives sur le plan sécuritaire [^2]. L’Union syndicale des magistrats (USM) a récemment rendu public un « Livre Blanc » consignant toutes les inquiétudes. Un document dans lequel l’organisation s’alarmait « d’une profonde crise dans la magistrature, crise morale, crise financière, crise juridique. »

Atteintes à l’indépendance de la justice

« Il y a aussi une manœuvre politicienne de la part de Nicolas Sarkozy , ajoute Benoît Hurel. Il a la volonté de retourner le peuple contre les institutions et la justice en particulier. Nous avons d’ailleurs constaté que la police, qui était également concernée par les enquêtes internes dans l’affaire de Pornic, a été mis à l’écart des accusations. »

Ce dernier avatar a ainsi réveillé un long passif entre les magistrats et le pouvoir, avec la multiplication des atteintes à l’indépendance de la justice. La Ligue des droits de l’homme déplore de son côté une entrave grave à la présomption d’innocence. La troisième pour le compte de Nicolas Sarkozy qui s’était déjà illustré dans l’affaire Clearstream vis-à-vis de Dominique de Villepin et contre Yvan Colonna dans l’enquête sur le meurtre du préfet Erignac.

Avec ce profond malaise en toile de fond, les professionnels de la justice se donnent rendez-vous, ce jeudi 10 février à Nantes et dans plusieurs villes de France. Ils demandent en premier lieu que le travail de la mission d’inspection interne soit respecté. Si des sanctions disciplinaires doivent être prises, les magistrats entendent que cela soit fait dans le respect des procédures.

[^2]: La récente Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi2) était ainsi le 42ème texte sécuritaire depuis 2002, d’après le site d’information Owni

Temps de lecture : 3 minutes