Olivier Le Cour-Grandmaison : « Il faut en finir avec les politiques discriminatoires »

L’historien lance un appel pour une mobilisation contre la politique d’immigration du gouvernement.

Jennifer Austruy  • 10 février 2011 abonné·es

Politis : Pourquoi un tel appel ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007, on assiste à l’une des politiques à l’encontre des immigrés les plus dures de la Ve République, notamment par la mise en place de ce ministère au nom et aux fonctions abracadabrantesques, à savoir le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, aujourd’hui tout à fait disparu. Nous sommes cependant un certain nombre à considérer que le ministère de l’Immigration, lui, n’a pas disparu et continue d’exister sous une autre forme puisque ses fonctions ont été rattachées au ministère de l’Intérieur. C’est un simple changement de dénomination, les orientations gouvernementales en la matière n’ont absolument pas changé. Il nous a semblé indispensable, dans cette conjoncture très particulière, de lancer un appel pour une mobilisation nationale et unitaire à la fois contre le racisme, contre la politique du gouvernement en matière d’immigration et pour la régularisation des sans-papiers.

Qu’attendez-vous d’une telle manifestation et que demandez-vous
au gouvernement ?

Nous avons lancé l’appel au mois de novembre pour une manifestation qui aura lieu le 28 mai. L’objectif est de réunir le maximum d’organisations politiques, syndicales, d’associations, et le maximum de citoyens concernés par cette politique. Nous voulons dépasser le cadre habituel d’une union rapide d’un cartel d’organisations qui se rassemblent contre tel ou tel projet de loi, nécessaire mais plus suffisante. Nous demandons au gouvernement de mettre un terme aux expulsions, aux placements d’enfants en centre de rétention, et d’en finir avec cette politique extrêmement dure et discriminatoire vis-à-vis des étrangers en général et des étrangers en situation irrégulière en particulier.

**Pouvez-vous décrire la situation
de l’immigration en France à l’heure actuelle ?
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Pour la première fois en France, on assiste à un véritable plan quinquennal d’expulsions avec mise en place de quotas. Relativement à l’offensive du gouvernement contre les immigrés, le projet Besson-Hortefeux est tout à fait significatif. Il vise à étendre la durée de rétention à quarante-cinq jours et introduit une double peine puisque le gouvernement entend permettre aux préfets d’interdire le retour des étrangers expulsés sur le territoire pour une durée de cinq ans. Pour témoigner de cette situation délétère, je voudrais rappeler le rapport de la Cimade publié en 2010 : 300 mineurs ont été placés en centre de rétention et, dans la douce France de Nicolas Sarkozy, le plus jeune des retenus était un nourrisson de 2 mois. Je tiens également à signaler qu’en cette matière non seulement le gouvernement ne recule devant rien, mais est amené à violer de façon substantielle la Convention européenne des droits de l’homme. La radicalisation du gouvernement à l’encontre des immigrés est liée, à mes yeux, à une espèce de concurrence acharnée que le gouvernement actuel et sa majorité, l’UMP, se livrent sur ce terrain avec le Front national. Il est clair qu’étant donné la situation politique en France et l’évolution des rapports de force entre l’UMP et le FN, plus on va se rapprocher de l’élection présidentielle, plus le risque est grand que la question de l’immigration et de la sécurité occupe une place importante. Hélas, tous les signaux politiques en témoignent. Une étude de terrain menée dans la région parisienne par deux sociologues du CNRS rend compte de la multiplication de pratiques racistes et des contrôles aux faciès. Cette enquête a montré que, si vous êtes de type maghrébin ou noir, vous avez entre 6 et 7,5 fois plus de risques d’être contrôlé que si vous êtes de type européen. C’est bien la preuve que cette politique du chiffre débouche sur des pratiques racistes et discriminatoiresn. Il faut, pour finir, rappeler qu’on estime qu’il y a eu près de 84 000 personnes expulsées depuis 2007. Pour arriver à ces expulsions effectives, les forces de police et de gendarmerie doivent procéder à trois fois plus de contrôles et d’arrestations. Ce qui signifie qu’en trois ans environ 300 000 personnes étrangères ou supposées telles ont été arrêtées.

Idées
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