Pourquoi la SNCF déraille

Hausse des tarifs, retards, suppressions de postes, matériel vétuste : rien ne va plus dans les wagons. En cause, la maladie de la rentabilité, qui transforme un service public en entreprise comme les autres. Enquête.

Pauline Graulle  • 3 février 2011
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Pourquoi la SNCF déraille

Vent de révolte sur les quais. Fin février, les billets des trains grandes lignes (TGV, Téoz, et Lunéa) augmenteront de 2,85 %. Une hausse qui précède la traditionnelle augmentation du mois de juillet pour les trains urbains et régionaux. Et qui s’ajoute aux hausses continuelles depuis plusieurs années (1,9 % en 2010, 3,5 % en 2009, 2 % en 2008…). Guillaume Pépy, le patron de la SNCF, a eu beau la qualifier de « raisonnable » , cette politique continue d’inflation tarifaire est incompréhensible pour les passagers. Non seulement la SNCF améliore son ­chiffre d’affaires en 2010, mais les usagers constatent que le service se détériore gravement. Ce que confirme un document interne sur la régularité des trains en 2010 : du TGV aux Transiliens, partout la ponctualité recule. Un Corail Intercités sur cinq est arrivé en retard.

Idem pour les TGV. Même en dehors des périodes de grèves et d’intempéries, leur taux de ponctualité passe sous la barre des 90 %. « Une fois sur deux, la SNCF est directement responsable de ces retards ou incidents : ils sont dus à sa mauvaise organisation interne, à la vétusté du matériel ou au nombre insuffisant de personnels de réserve » , estime Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).
Dans ce contexte, l’ubuesque périple du Lunéa « Strasbourg -Nice /Port-Bou », 15 heures de retard le 27 décembre dernier, a mis le feu aux poudres.

Des milliers d’usagers, ulcérés par les retards à répétition, les suppressions de trains et les wagons bondés, montent au créneau. Début janvier, la fronde part des « navetteurs » TGV. La pétition « SNCF-Ras le bol ! », lancée par l’Association des voyageurs usagers des chemins de fer (Avuc, plutôt marquée à gauche) dans l’Ouest, recueille 10 000 signatures en une quinzaine de jours. Une « grève des billets » lancée sur la ligne Paris-Le Mans se répand en Rhône-Alpes, remonte en Picardie, descend en Paca et dans le Languedoc-Roussillon… « Toutes professions, tous âges, toutes tendances politiques confondues, l’engouement a été général » , insiste Michel Pottier, porte-parole de l’Avuc.

Souvent menées main dans la main avec les syndicats de cheminots, ces actions coup-de-poing réussissent in fine à faire vaciller la direction de la SNCF. Poussée par un gouvernement déjà parti en campagne, celle-ci finit par accorder aux abonnés TGV 200 euros de dédommagement, et un gel momentané du prix de leur abonnement. Les abonnés du Transilien et des TER, eux, sont priés de s’adresser au Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif) ou aux conseils régionaux, qui pilotent désormais l’organisation des réseaux au niveau local. « Chacun se renvoie la balle, il y a une dilution des responsabilités » , soupire Rémy Pradier, président de l’association des usagers du RER D. Quant aux voyageurs des 12 lignes « malades » pour lesquelles Guillaume Pépy a promis le 9 janvier « des propositions concrètes » , ils continueront de ronger leur frein.

Car ces couacs en série ne sont pas seulement le fait d’un enchaînement « exceptionnel » et « rarissime » ­d’incidents, mêlant neige et grèves. Mais le révélateur d’une politique qui a signé, depuis quelques années déjà, la mort du service public ferroviaire.

Sur fond d’ouverture à la concurrence (du fret, en 2007, et du transport de passagers en 2010), la « maladie » qui ronge la SNCF est une maladie de la productivité et de la rentabilité dont elle n’est pas près de guérir. En proie à un démantèlement progressif, la société nationale des chemins de fer se transforme irrémédiablement en une entreprise « privée » comme une autre. Qui fourbit ses armes sur le grand marché mondial du transport. « La SNCF doit […] changer de rythme pour entrer tout entière dans l’ère du développement et de la concurrence , écrivait Nicolas Sarkozy à Guillaume Pépy dans sa lettre de mission en 2008. La SNCF doit plus que jamais être au service du public, contribuer à la compétitivité du pays et devenir une entreprise publique française leader à l’échelle européenne. » Être au service du public et devenir plus compétitive ? Il faut pourtant choisir… Ce qu’a fait la SNCF.


Suite : SNCF, les raisons de la pagaille


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