Une justice paralysée par la pénurie

Depuis 2007, le gouvernement applique une politique de démantèlement du système judiciaire qui suscite la colère de toutes les catégories de personnels, des magistrats aux services pénitentiaires.

Thierry Brun  • 17 février 2011 abonné·es

Bien avant la polémique autour des dysfonctionnements survenus dans « l’affaire Laëtitia », le signal d’alarme était tiré dès 2008 par les magistrats et les fonctionnaires des services judiciaires et pénitentiaires sur l’indigence des moyens donnés à la justice. Il faut même remonter au lancement, en 2007, d’une vaste réforme des services de l’État, la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP), pour comprendre la mise en « faillite de la justice » pointée aujourd’hui par les syndicats. Et le 7 janvier 2011, Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, a eu des mots très sévères pour dénoncer les « coups portés » à l’institution judiciaire par ceux qui sont précisément « en charge de la faire ­respecter ».

Car le constat est édifiant : « Au 1er janvier 2010, 178 tribunaux d’instance et 2 tribunaux de grande instance (Millau et Belley) ont été fermés, et leur activité intégrée aux juridictions voisines » , comptabilisait le troisième rapport d’étape sur la RGPP. À ces chiffres, il faut ajouter la suppression de 55 tribunaux de commerce et de 62 conseils des prud’hommes, et les moyens dérisoires en personnel au regard des besoins. « Au-delà même de ces réformes, un certain nombre de services sont déjà dans l’incapacité de respecter la loi en assurant la présence du greffier aux audiences (juge aux affaires familiales, service des enfants, service des tutelles) » , a alerté, à maintes reprises, le Syndicat de la magistrature.

On est loin du satisfecit du garde des Sceaux, Michel Mercier, qui, lors de la présentation du budget de la justice pour 2011, annonçait en grande pompe que celui-ci dépasserait pour la première fois les 7 milliards d’euros. Mais ce budget accompagne une réforme visant à faire coexister une « baisse des dépenses publiques et l’amélioration des politiques publiques » , deux objectifs contradictoires qui ne tiennent pas compte de la situation réelle de la justice française. En outre, « la France ne consacre que 1,6 % de son budget, soit 0,6 % de son PIB, à la justice, ce qui la classe au 23e rang sur 25 en Europe » , a souligné Gilles Sainati, magistrat, membre du Syndicat de la magistrature [^2].

Déjà à la traîne, les moyens consacrés à la justice sont donc revus à la baisse par la RGPP. « Tout le système judiciaire est paralysé » par les nouvelles restrictions, et certaines juridictions sont en état de cessation de paiement, relevait le syndicat en février 2010. « Ainsi, le tribunal de Nice, comme de nombreux autres, ne parvient plus à payer ses experts… » Autre effet de la RGPP : « L’interruption soudaine des vacations des juges de proximité illustre parfaitement la précarité de leur statut. Elle va conduire à reporter du jour au lendemain de nouvelles charges imprévues sur les magistrats. »
De plus, la baisse « très importante et soudaine du nombre de vacataires va aggraver encore la situation insupportable des greffes, déjà écrasés par la surcharge résultant de la suppression de près de la moitié des tribunaux d’instance et des réductions d’effectifs » . Il n’est donc pas surprenant de voir un mouvement inédit contre une telle politique.

[^2]: Lire l’État démantelé, sous la direction de Laurent Bonelli et de Willy Pelletier, La Découverte, 2010.

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