Une seule solution, la régulation !

Le rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement démontre l’appauvrissement des classes moyennes et l’inefficacité des politiques publiques en matière de logement.

Jennifer Austruy  • 10 février 2011 abonné·es
Une seule solution, la régulation !
© Photo : Laban-Mattei / AFP

«S’il n’y a pas assez de logements sociaux, le gouvernement peut voter toutes les lois qu’il veut, ce seront toujours les plus faibles les derniers servis. » Voilà comment Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre, résume la situation du mal-logement. Le manque cruel de toits en France et la demande en hausse constante font pression sur les prix (50 % d’augmentation des prix en dix ans). Le gouvernement, toujours prompt à légiférer et à faire miroiter de nouveaux logements, ne tient pas ses engagements. Et refuse obstinément d’encadrer un marché devenu fou. Sur fond de crise économique et de chômage endémique, les promesses non tenues aggravent la situation. Et pas seulement celle des plus modestes.

La classe moyenne appauvrie

Quand les logements manquent, les prix augmentent. Couplés à l’absence de régulation du marché, les prix explosent. La chute des dominos peut commencer. Les plus riches peuvent assumer ; les cadres sortent des villes ; les classes moyennes « basses » squattent les logements sociaux. Conséquence, les employés et salariés les plus modestes peinent à se loger et sont de plus en plus nombreux à goûter à la rue. Immanquablement, tout en bas de l’échelle, les rangs des exclus du logement grossissent à vue d’œil.

Loin d’être un problème exclusivement francilien, le mal-logement touche la plupart des grandes villes françaises, de même que les régions les plus peuplées (Paca, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon…). On assiste alors à un « étalement urbain »  : ceux qui veulent s’acheter une maison investissent les zones les moins chères, loin de la ville où ils travaillent. Bien souvent, ces ménages oublient le coût de la distance : essence et temps perdu dans les embouteillages. Ils se retrouvent alors coincés avec un crédit sur trente ans, une maison difficile à revendre et une qualité de vie dégradée.

Dans ce contexte, la tranche la moins favorisée de la classe moyenne peut vite tomber au fond du gouffre. La crise survient, le mari perd son emploi, le coût du loyer devient insupportable. Le ménage décide, le temps de se retourner, d’habiter un mobile-home. mais là, c’est la nouvelle loi « Loppsi 2 » qui les empêche d’habiter un logement qui ne « correspond pas au plan d’urbanisme » . Leur habitat est détruit, c’est la rue. Le cercle vicieux se met en place : sans logement, difficile de trouver un travail ; sans travail, impossible de trouver un logement.

L’État des riches

Ces dernières années, une batterie de lois sur le logement a été votée. Depuis 2007, le gouvernement favorise l’accès à la propriété. « La France des propriétaires » rêvée par Nicolas Sarkozy laisse sur le carreau les plus défavorisés. La dernière trouvaille gouvernementale, le prêt à taux zéro, a bénéficié en janvier 2011 aux 20 % des Français les plus riches, pour un coût de 480 millions d’euros. Dans le même temps, le gouvernement baisse ses subventions aux HLM et décide que l’aide personnelle au logement (APL) ne sera plus rétroactive. Le plan « Borloo » de cohésion sociale de janvier 2005, visant à augmenter le nombre de logements sociaux (500 000 en 5 ans) « est un des points positifs de ces dernières années » , selon la Fondation Abbé-Pierre. Pas de chance, il ne sera pas reconduit.

La loi Dalo (Droit au logement opposable) de mars 2007 « ne fonctionne que dans les parties du territoire qui ne souffrent pas trop du manque de logements » . Non contente de favoriser les possédants, la logique gouvernementale enfonce les plus modestes : le tout-sécuritaire induit par la Loppsi 2 rend responsables les sans-abri et les mal-logés de leur propre situation. L’État se dégage de son rôle de protecteur social et criminalise ceux qui n’ont d’autres choix que de se bâtir un habitat de fortune.

Les solutions proposées

Dans le grand hall du Parc des expositions à Paris, où la Fondation Abbé-Pierre présentait son rapport dans un show à l’américaine, devant un parterre d’hommes politiques, d’associations, de journalistes et d’étudiants, le message est matraqué : la situation est dramatique ! Devant une telle permanence du problème, l’organisation ne peut que rappeler combien la crise du logement aura des coûts sociaux à long terme. Un enfant mal logé ne peut pas réussir à l’école ; une famille mal logée ne peut pas être stable ; des travailleurs pauvres ne donneront pas des retraités riches. Les solutions, pourtant évidentes et martelées depuis de nombreuses années, sont une nouvelle fois mises sur la table : il faut réguler le marché de l’immobilier et plafonner les prix. Il faut construire plus de logements.

Le secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu, voit les choses autrement. Présent lors des débats organisés par la fondation, il ne veut pas entendre parler de régulation. Mais promet une nouvelle fois de construire plus. La feuille de route de son ministère lancée le 2 février prévoit un budget de 37,4 milliards d’euros, soit 1,96 % du PIB alloué au secteur du logement. De là où il est, l’abbé Pierre doit afficher son scepticisme. Et ruminer l’une de ses célèbres maximes : « Il ne faut pas faire la guerre au pauvre, mais à la pauvreté. »

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