À contre-courant / Un « revenu citoyen », oui, mais lequel ?

Baptiste Mylondo  • 10 mars 2011 abonné·es

D’interviews en tribunes, Dominique de Villepin le répète depuis quelque temps, il milite pour la création d’un « revenu citoyen ». Difficile de connaître la nature exacte de sa proposition, mais, si elle semble emprunter de nombreux points à la version de gauche du revenu de citoyenneté, elle s’en distingue par certains aspects.

Deux caractéristiques doivent particulièrement attirer notre attention dans le cadre d’une distinction entre les projets de droite et ceux portés par des militants de gauche. L’inconditionnalité, d’abord. Le revenu inconditionnel doit être versé à chaque citoyen quelle que soit sa situation financière, familiale et professionnelle, passée, présente et future. Il doit être versé sans condition de ressources (cumulable ainsi avec tout autre revenu), sans condition d’activité ou d’inactivité, sans qu’il soit nécessaire de réaliser un travail d’intérêt général et sans qu’il soit demandé non plus aux bénéficiaires de chercher activement un emploi. Autre caractéristique décisive : le montant du revenu de citoyenneté doit impérativement être suffisant. La traduction monétaire de cet impératif doit faire l’objet d’une délibération démocratique en gardant à l’esprit deux objectifs  : garantir l’accès aux biens et aux services essentiels, et permettre à ses bénéficiaires de se passer durablement d’emploi et d’échapper ainsi à la pression du marché du travail.

De ces principales caractéristiques, il convient de tirer deux enseignements. Premièrement, le revenu de citoyenneté ne doit pas être destiné aux pauvres. Entendons-nous bien, les pauvres doivent évidemment en bénéficier, mais le revenu inconditionnel ne doit surtout pas constituer une aumône versée aux plus démunis au nom de la solidarité nationale. C’est une tout autre logique qui doit être à l’œuvre. Pas de solidarité ici, c’est de justice sociale qu’il est question. En versant un revenu suffisant à chaque citoyen, il s’agit de reconnaître la contribution de tous à la création de richesse sociale, à la construction de la société. Pas question donc d’introduire une condition de revenu, comme le suggère Villepin. Pas question non plus de demander une contrepartie aux bénéficiaires du revenu inconditionnel, pas même sous la forme d’un contrat moral, comme le préconise Villepin, contrat moral qui ne suppose, espérons-le, aucun suivi, aucun contrôle et aucun risque de radiation.

Enfin, second point, une attention particulière doit être portée à l’impact du revenu de citoyenneté sur le système de protection sociale et sur le droit social. Dans sa déclinaison libérale, le revenu inconditionnel est souvent associé à la suppression des prestations sociales, considérées comme autant d’entraves au bon fonctionnement du marché du travail. Suivant ce raisonnement, le même sort est généralement réservé au salaire minimum. Dans la version de gauche, l’impact du revenu de citoyenneté sur les prestations sociales est simple : il ne saurait remplacer celles relevant du régime assurantiel de protection (santé, retraite, chômage), mais pourrait en revanche se substituer aux prestations relevant du régime de solidarité nationale, à condition qu’il vienne s’y substituer parfaitement et avantageusement. Quant à l’impact sur le droit social, la suppression du salaire minimum est évidemment hors de question. Le seul aménagement souhaitable serait la reconnaissance d’un véritable droit inconditionnel au temps partiel choisi, afin d’encourager la réduction du temps de travail et le partage de l’emploi.

Au final, la proposition de Villepin ne semble pas s’inscrire dans la logique de droite défendue notamment par Alternative libérale [^2], mais on mesure tout de même la distance qui la sépare de la version de gauche du revenu inconditionnel. Son « revenu citoyen » doit être vu comme une opportunité pour la gauche de se saisir à nouveau de cette idée, d’engager le débat avec ses opposants politiques mais surtout en son sein. Monsieur Villepin a encore quelques efforts à faire pour être de gauche. Quant à la gauche, un petit effort et nous ferons mieux que Villepin…

[^2]: Parti politique associé au Nouveau Centre, fondé en 2006 par Édouard Fillias.

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