Comment éteindre le photovoltaïque

Après trois mois de moratoire sur les projets de centrales solaires, le gouvernement a décidé de réduire drastiquement les aides financières à la filière, qui dénonce un étranglement programmé.

Patrick Piro  • 3 mars 2011 abonné·es
Comment éteindre le photovoltaïque
© Photo : PACHOUD / AFP

Des aides financières qui ­fondent, des conditions d’accès durcies, un développement arbitrairement bridé : les acteurs du photovoltaïque sont sous le choc, alors que le gouvernement vient de dévoiler les nouvelles modalités de soutien à la filière. « Elles programment la division par 2 de son chiffre d’affaires » , calcule Raphaël Claustre, directeur du Comité de ­liaison des énergies renouvelables, qui regroupe principalement des associations. Le très modéré Syndicat des énergies renouvelables (SER), porte-voix des grands opérateurs, a réagi avec une virulence inaccoutumée, déplorant l’incohérence du gouvernement : « Son changement de cap brutal se traduirait à brève échéance par la disparition d’une grande partie des entreprises […], et plus de 25 000 emplois seraient détruits d’ici à l’année prochaine » si les textes en projet restaient en l’état. Ils devaient passer devant le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) mercredi 2 mars, mais l’arbitrage du Premier ministre, François Fillon, livré le 22 février, semble irrévocable.

Le monde du photovoltaïque avait déjà vécu un choc le 9 décembre dernier, quand un décret avait gelé pour trois mois – et avec effet rétroactif – toute nouvelle installation [^2]. Raison officielle : l’inflation des coûts générés par le tarif d’achat préférentiel de l’électricité solaire, alors que les panneaux photovoltaïques connaissent un succès insoupçonné et que le volume des projets explose (2).

Les professionnels acceptent cependant de jouer le jeu d’une concertation proposée par le gouvernement. Mais, bien vite, ils s’aperçoivent qu’aucune de leurs suggestions n’a l’oreille de ce dernier. Pas même une proposition originale de l’association Hespul, ébauchant un développement soutenu du photovoltaïque à coût maîtrisé, qui recueille pourtant l’assentiment unanime de la filière et l’intérêt de la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet. Les élus locaux sont également mobilisés – le moratoire a fait passer à la trappe de nombreux projets de collectivité –, y compris des députés UMP, tel Serge Poignant, qui prend fait et cause pour une filière dont il comprend qu’elle va être laminée.

Peine perdue. Le nouveau cadre de « soutien », qui entrera en vigueur début mars, semble avoir été rédigé depuis longtemps, soulignent les professionnels, humiliés et écœurés. « Le gouvernement s’est foutu de notre gueule ! » , s’énerve l’un d’eux, bon traducteur de l’état d’esprit général. « On nous a fait perdre trois mois que nous aurions pu mettre à profit pour nous retourner, c’est d’un mépris total ! » , assène David Guinard, membre du bureau de l’Association des producteurs d’électricité solaire indépendants (Apesi).

Objectif principal de l’aggiornamento : limiter à 500 mégawatts crête (MWc) le volume annuel de panneaux posés. Il s’en est installé en France pour près de 800 MWc en 2010 – « surchauffe » fort relative, c’est dix fois moins qu’en Allemagne, qui a su ajuster les aides financières à la filière sans lui couper les ailes.

Pour cela, le gouvernement impose un mécanisme d’appel d’offres pour tout projet de plus de 100 kilowatts crête (kWc) de puissance (toitures de plus de 1 000 m2 et centrales au sol). Une méthode radicale pour contrôler leur volume global, « mais qui a démontré son inefficacité » depuis quinze ans dans les énergies renouvelables (éolien, biomasse, photovoltaïque), souligne un communiqué de l’Apesi.

Le tarif d’achat préférentiel de l’électricité solaire sera abaissé de 20 %, et seuls les projets de moins de 100 kilowatts crête (kWc) y auront encore accès – le plafond était jusqu’alors fixé à 12 MWc (120 fois plus élevé !). Et encore, uniquement pour les bâtiments d’habitation, d’enseignement ou de santé avec panneaux intégrés au bâti. Les autres (hangars agricoles, par exemple) ne bénéficieront du tarif sésame que jusqu’à 39 kWc, voire 9 kWc. « Ce qui signifie que l’on peut faire une croix sur les écoquartiers, conçus pour produire autant ou plus d’électricité qu’ils n’en consomment… » , déplore Marc Jedliczka, directeur de l’association Hespul.

Le tarif d’achat, qui plafonnerait à 0,46 euro par kilowattheure livré (euro/kWh) pour le résidentiel privé, tomberait à 0,12 euro/kWh dans les cas les plus défavorables – deux à trois fois moins que le seuil de rentabilité de nombreux projets. « On nous propose un alignement sur les conditions octroyées en Allemagne avec un marché 25 fois plus important ! Qui peut survivre dans de telles conditions ? » , s’élève Arnaud Mine, président du Soler, branche photovoltaïque du SER.

Mais ce n’est pas tout. Le tarif décroîtra chaque année de 10 %, voire plus à l’occasion d’examens trimestriels : si le volume des projets déposés ­gonfle encore trop, la rétribution du kilowattheure pourrait perdre jusqu’à 30 % de plus par an. « Autant dire que les investisseurs, déjà sur la défensive, ne vont plus mettre un centime dans une activité dotée d’aussi peu de visibilité… » , juge David Guinard. Une disposition en particulier fait sortir Arnaud Mine de ses gonds : les entrepreneurs, pour bénéficier du tarif, devront attester qu’ils disposent de 100 % des fonds pour leur installation, ou bien l’engagement d’une banque à le financer intégralement. « Ce qui revient à demander à une PME de détenir, sur l’année, la moitié de son chiffre d’affaires en cash – du délire ! »

Enfin, pour serrer un peu plus le carcan, les développeurs auront dix-huit mois pour mener à bien leurs projets – mission impossible pour les plus importants d’entre eux. À défaut, le contrat d’achat de l’électricité au tarif préférentiel, théoriquement signé pour vingt ans, se verra amputé d’une durée trois fois plus longue que celle du dépassement, même s’il incombe à ERDF, la filiale d’EDF chargée du raccordement des installations au réseau.
Trois conclusions émergent déjà. Le gouvernement confirme son désintérêt de fond pour l’électricité renouvelable (voir le sort de l’éolien ci-contre), sauf peut-être au profit de grands opérateurs ; EDF énergies nouvelles, filiale d’EDF et poids lourds français du secteur, devrait ainsi tirer son épingle du jeu de ce remaniement. Ensuite, la méthode brutale est décidément la marque des gouvernements Sarkozy ; la parodie de concertation dont ont été victimes le photo­voltaïque ainsi que les élus et les parlementaires qui se sont engagés sur le dossier laissera des traces. Enfin, il est confirmé que la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, n’a qu’une influence marginale sur ces questions.

Toute la semaine, la filière solaire a œuvré pour présenter une position unie – une gageure dans un milieu aux intérêts aussi diversifiés – avant l’examen des textes par le CSE [^3]. Une offensive qui annonce d’autres batailles. Ces derniers jours, plusieurs centaines de personnes, surtout issues du milieu associatif, sont descendues dans la rue pour manifester à l’appel du collectif « Touche pas mon panneau solaire ». Dans l’industrie, peu familière de ce mode d’action, on affûte l’arme judiciaire. Le moratoire a déjà été attaqué pour préjudice économique ou effet rétroactif. Les nouveaux textes pourraient l’être pour leur caractère discriminatoire (demande d’attestation bancaire, etc.). Des recours sont également prévus auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (non-respect des engagements de la France en matière d’énergies renouvelables, des règles de concurrence, etc.).

Cependant, c’est le terrain politique qui apparaît désormais comme le plus propice. En juin 2012, sera mise à jour la loi de programmation énergétique, ce qui pourrait rebattre les cartes. À plus forte raison, bien sûr, si la gauche revient au pouvoir avec les écologistes, espoir que l’on évoque à mots peu couverts dans la filière.

[^2]: À l’exception des toits solaires n’excédant pas 3 kilowatts crête de puissance, segment concernant les particuliers.

[^3]: Voir le communiqué « La France ne doit pas devenir le pays du soleil couchant ! » signé par quinze collectifs (http://www.photovoltaique.info).

Écologie
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