Mitterrand élu pharaon

Olivier Py met en scène le parcours du président socialiste et son rapport à la mort. 
Une double approche peu convaincante.

Gilles Costaz  • 24 mars 2011 abonné·es

Ce n’est pas fréquent qu’un ­théâtre national consacre un spectacle à l’histoire immédiate, encore brûlante, de la France. C’est ce que fait Olivier Py avec Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] , à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Il le fait en centrant son évocation sur la grande duperie de Mitterrand : il n’a jamais révélé l’existence du cancer qui le rongeait, alors qu’il connaissait son mal au moment de sa première victoire à l’élection présidentielle, en 1981. Mais Py est un poète qui brasse l’histoire et son propre monde lyrique dans tous les sens, de telle sorte que la pièce prend vite deux directions superposées : une succession de brefs tableaux inspirés de faits vrais et la réinvention totale de Mitterrand transformé en personnage de l’univers de l’écrivain.

Le parcours historique butine dans un désordre chronologique parmi les événements et les anecdotes. On va de la suppression de la peine de mort, rappelée par le discours de Robert Badinter, et on revient à la campagne présidentielle montée avec Séguéla, qui invente le slogan de « la force tranquille ». Voilà Duras, voilà Charasse, voilà Kouchner, voilà Emmanuelli. Et bien d’autres. Bérégovoy se donne la mort. Anne Lauvergeon s’accroche aux talons de Mitterrand. À chaque fois, l’image du président est flatteuse, glorieuse. Sauf lorsqu’il s’agit de la politique étrangère. Avec Helmut Kohl, la discussion n’est pas facile. À la chute du mur de Berlin, le chef d’État réagit froidement. Quand surgit le conflit des Balkans, il en reste à l’ancienne amitié franco-serbe. Là, le trait de Py se fait féroce, par petits à-coups, très rarement.

Quand la figure de Mitterrand bascule dans la transfiguration propre à Olivier Py, l’homme devient un pharaon hanté par le Livre des morts égyptien, errant dans une tourbillonnante interrogation métaphysique et tenté par une foi chrétienne qu’il avait toujours méprisée. Ces distorsions ne résistent pas à l’analyse, mais c’est peut-être là que réside la pièce que Py n’est pas arrivé à écrire complètement. Car ou bien il nous fait tout faux, mais dans le mensonge de la poésie, ou bien, il nous fait tout vrai, dans le décryptage de l’histoire. Prise entre deux chaises, la pièce passe mal. Victime d’un vol d’ordinateur qui l’a obligé à réécrire entièrement son texte (il n’avait pas fait de double, l’imprudent, et l’on mesure le drame vécu à ce moment-là), Py n’a sans doute pas eu assez de temps pour prolonger son texte et affiner sa mise en scène.

Faire incarner Mitterrand par Philippe Girard n’est pas un bon choix : cet immense acteur, qui joua avec Py le Soulier de satin , n’a aucune parenté physique et vocale avec son personnage. Quant à ses partenaires, tous d’excellents comédiens, de John Arnold à Élisabeth Mazev, ils se soucient fort peu de ressembler aux personnes qu’ils figurent en passant rapidement de l’une à l’autre : le spectateur ne s’y retrouve pas toujours. D’aucuns reprocheront à Py d’avoir donné de Mitterrand une icône trop sublime. On déplorera surtout un propos qui manque de netteté. Py tente une transmutation de l’histoire, mais en reste à un charmant jeu de société.

Culture
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