Pacte avec les loups de la finance

Les dirigeants européens ont validé leur « pacte pour l’euro ». Salaires, retraites, services publics sont mis à mal. Décryptage d’une opération qui s’est déroulée dans la plus grande opacité.

Thierry Brun  • 31 mars 2011 abonné·es
Pacte avec les loups de la finance
© Photo : AFP / Bonaventure

Les citoyens et salariés de l’Union européenne n’ont qu’à bien se tenir. Car voici ce qu’on peut lire dans le « pacte pour l’euro » adopté lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement les 24 et 25 mars : « Les augmentations significatives et durables [de salaires] pourraient provoquer une érosion de la compétitivité. » Faut-il comprendre que, désormais, les augmentations de salaire ne sont plus négociables sur le lieu de travail, mais seront soumises à l’avis de la Commission européenne ? Comme ne l’indique pas son nom, le « pacte pour l’euro » promet de désagréables surprises à la grande majorité des Européens, comme le blocage des salaires, donc, ou la remise en cause de protections sociales. Des économistes, des élus et des syndicalistes analysent ici les raisons et les conséquences de ce plan d’austérité à grande échelle.

1re étape, 2009-2010 :
Protéger les marchés financiers

Benjamin Coriat, « économiste atterré » : Les décisions prises au Conseil européen sont les conséquences de la crise financière de 2008-2009. Dans la plupart des pays, les États ont racheté les dettes bancaires en recapitalisant les banques et en réunissant les créances douteuses pour les mettre sous leur responsabilité. Tout a été mis en œuvre pour protéger les financiers et faire en sorte que les dettes privées non solvables le redeviennent grâce à la garantie publique. Le cas typique est l’Irlande : les banques se sont surendettées et ont versé des dividendes et des bonus absolument atomiques. Elles n’étaient plus en état de faire face à leurs créances pendant la crise. L’État irlandais a payé à leur place tout en instaurant des plans d’austérité et des augmentations d’impôts.

Pour faire face à la récession générale provoquée par l’explosion bancaire, les États européens se sont aussi endettés sur les marchés financiers. Or, une disposition du traité de Lisbonne interdit à l’UE de venir à la rescousse des États en difficulté. Résultat : face à la puissance des marchés financiers, l’euro s’en est trouvé menacé. L’UE a été obligée d’intervenir et s’est portée au chevet de la Grèce, de l’Irlande, de l’Islande et aujourd’hui du Portugal, en « violation » du traité. Le Conseil européen avait donc la nécessité de modifier le traité constitutionnel pour permettre à la zone euro de garantir les dettes d’État auprès des marchés et de constituer un fonds nommé mécanisme européen de stabilité (MES). Pour bénéficier des possibilités d’emprunts proposés par ce fonds, les chefs d’État européens ont imposé une série de conditionnalités dans un « pacte pour l’euro ».

2e étape, décembre 2010 :
Éloigner les citoyens des lieux de décision

Martine Billard, députée (Parti de gauche) : Au nom des politiques économiques, le Conseil européen impose des décisions sur les politiques sociales. Ce qui est scandaleux, c’est que cela se décide dans le secret de la Commission européenne. Avec le « semestre européen de coordination des politiques économiques », les Parlements verront leur budget préalablement soumis à la Commission européenne. Notre proposition de loi garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire a été rejeté à l’Assemblée nationale en décembre 2010. Les Parlements ne se prononceront qu’en dernier lieu et devront prendre en compte les objectifs fixés dans le pacte pour l’euro. Ainsi, l’objectif de réduction des déficits sera à ­l’ordre du jour du Parlement français dans les semaines qui viennent. Le pacte préconise aussi le blocage des salaires et manifeste la volonté de ne plus avoir de salaires discutés ­nationalement, comme le Smic en France. Il veut une ouverture au marché plus poussée des secteurs protégés (protection sociale) et souhaite revenir sur ce qu’il appelle « des restrictions disproportionnées sur les heures d’ouverture et de zonages » des commerces et des services, ce qui signifie plus de travail de nuit et le dimanche. Il est même conseillé de supprimer des régimes de retraite anticipée.

3e étape, mars 2011 : Institutionnaliser la rigueur budgétaire

Liêm Hoang-Ngoc, député européen (PS) : La Commission a été chargée par le Conseil européen, avec l’appui de l’Allemagne, de rédiger six directives qu’on appelle le « paquet gouvernance ». Elles sont la déclinaison du pacte pour l’euro  dans le cadre du semestre européen qui se met en place.
Ces directives devraient être votées au Parlement européen en codécision avec le Conseil au mois de juin. Elles sont actuellement en discussion dans la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Le « paquet gouvernance » consiste à institutionnaliser la rigueur budgétaire et donc à durcir l’actuel pacte de stabilité et de croissance. On prend en considération les déséquilibres économiques de l’Union, et on va inviter les pays déficitaires à baisser les salaires pour qu’ils gagnent en compétitivité et relancer leur croissance. Le « paquet gouvernance » risque d’être adopté en l’état compte tenu de la majorité en train de se dessiner en sa faveur.

4e étape : Vers un mouvement social européen ?

Pierre Khalfa, syndicaliste ­(Solidaires) : C’est une attaque de grande ampleur. La question de la dette publique sert de prétexte au gouvernement pour parachever la remise en cause des droits sociaux au niveau européen depuis maintenant un quart de siècle. Il s’agit d’une cure d’austérité en fait permanente qui s’appuie sur un gonflement des dettes publiques. Que la Confédération européenne des syndicats ait pris conscience des dangers est une bonne chose. Elle essaie de mobiliser les salariés européens, notamment le 9 avril à Budapest. Mais il faut avoir des objectifs clairs. C’est là où le bât blesse. Les mobilisations européennes ­doivent avoir pour objectif une harmonisation sociale par le haut, en fixant par exemple des minima sociaux et un salaire minimum à l’échelle européenne. Il faut aussi une réforme fiscale d’ampleur pour rembourser une partie de la dette et donner des marges de manœuvre aux politiques publiques. Il faut se poser la question du caractère illégitime de la dette, une partie relevant de la responsabilité des banquiers. Et il faut en finir avec le rôle actuel de la Banque centrale européenne, qui ne peut financer les déficits des États.

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