Pour l’idéal multiculturaliste !

Le débat voulu par Nicolas Sarkozy sur « la laïcité » va clairement dans le sens de ses attaques contre le multiculturalisme. Un concept à défendre et un enjeu dont la gauche doit s’emparer.

Olivier Doubre  • 10 mars 2011 abonné·es
Pour l’idéal multiculturaliste !
© Photo : KSIAZEK / AFP

Comme on le sait, le 5 avril prochain, l’UMP tiendra une « convention » sur la… « laïcité » . Un intitulé qui ne trompe personne, puisque nul ne croit à un débat sur la loi de 1905, la séparation des Églises et de l’État, ou le Concordat dans les écoles alsaciennes. Ce fameux débat-sur-la-laïcité voulu par le président de la République, dont l’intitulé était encore
– officiellement – jusqu’à la mi-février « sur la laïcité et la place de l’islam en France » , ne portera évidemment que sur la religion musulmane, les mosquées, les prières dans la rue, le voile et la burqa, etc.

Mais, au-delà du caractère bassement électoraliste de l’initiative du parti présidentiel, qui, jadis, avait su « siphonner » les voix du Front national en usant de telles thématiques, Nicolas Sarkozy (comme récemment David Cameron ou Angela Merkel, et quasiment dans les mêmes termes) semble s’être trouvé une nouvelle cible : le multiculturalisme. Selon ses dires, celui-ci serait « un échec » . Pis : il serait même « à l’origine de bien des problèmes de notre société » ! Comme le notait récemment dans le Monde  [^2] le sociologue Éric Fassin, spécialiste de la société américaine et des questions minoritaires, ce « durcissement nouveau » de Nicolas Sarkozy après le fameux « débat sur l’identité nationale » lancé fin 2009, « visant à faire oublier l’échec de [sa politique] sur tous les fronts – du pouvoir d’achat à l’insécurité » , s’apparente à une sorte de « monoculturalisme » militant, qui n’est rien d’autre que « le repli sur une identité nationale racialisée » . Une rhétorique pauvre, simpliste et dangereuse, qui fait fi des véritables questions posées à toutes les sociétés contemporaines et à leur capacité à « vivre ensemble ».

Identité(s) ? Altérité ? Ethnicité ? Racisme ? Pluralisme ? Laïcité ? Discrimination(s) ? Intégration ? Assimilation ? Toutes ces notions renvoient finalement à la question fondamentale de l’acceptation – et de la reconnaissance, surtout – des différences au sein de nos sociétés, désormais « toutes » multiculturelles, comme le rappelle Michel Wieviorka dans l’entretien ci-dessous. S’interrogeant sur les valeurs, les grands enjeux et la stratégie politique qu’une gauche « prochaine » devrait défendre et adopter dans les années à venir (à un moment où elle se trouve à la croisée des chemins, en quête d’une réelle identité), le sociologue souligne combien la question du multiculturalisme est aujourd’hui fondamentale pour elle.

Deux autres sociologues, Philippe Chanial et Alain Caillé, dans leur préface à un brillant essai parcourant les nombreuses approches de ce concept toutefois assez complexe [^3], considèrent en effet que celui-ci ne pose « en définitive que la question de la démocratie » . Démocratie ou droit pour chacun de faire entendre sa voix dans une société. Car, à l’heure de la société-monde, ou du « système-monde » théorisé par l’historien et économiste Immanuel Wallerstein, notre « condition multiculturelle » – difficilement contestable en fait – « interroge avant tout notre capacité à faire société » , et son défi est bien « celui de la construction d’un monde commun ouvert au conflit – et non à la guerre – mais aussi au dialogue entre peuples, cultures et nations » .

Or, on l’a vu, le caractère multiculturel de nos sociétés ne va pas sans poser de problèmes. Pour certains tout du moins. La peur de l’Autre et les réflexes de repli sur soi semblent avoir le vent en poupe dans les sociétés de la vieille Europe (et ailleurs), vu les succès électoraux des formations d’extrême droite connues pour leur xénophobie ou, de plus en plus aujourd’hui, pour leur islamophobie. Une islamophobie que l’historien Enzo Traverso (spécialiste du totalitarisme) qualifiait récemment dans Libération [^4] de « source du nouveau populisme de droite » , ce populisme indiquant pour lui « une frontière poreuse entre la droite et l’extrême droite » , comme on le voit à nouveau avec le débat proposé par l’UMP. Et si les politiques anti-immigration ont depuis longtemps cessé d’être le seul apanage de l’extrême droite, c’est, selon le philosophe Slavoj Zizek [^5], parce que nous sommes « entrés dans une ère où la forme prédominante de l’exercice du pouvoir d’État se résume à une administration dépolitisée et à une logique de coordination d’intérêts » , et « la seule manière d’introduire de la passion ici passe par la peur : peur des immigrés, peur du crime, peur de la dépravation impie »

Or, pour le philosophe, cette introduction de la peur en politique a produit une généralisation des politiques anti-immigration, devenues un véritable « discours dominant », qui déteint même sur un certain « multiculturalisme libéral, en tant qu’expérience de l’Autre privé de son altérité ». Aussi Zizek en appelle-t-il à cesser ce « petit jeu libéral du “Quelle quantité de tolérance pouvons-nous supporter ?” » pour au contraire « proposer un projet universel positif partagé par l’ensemble des parties, et de se battre pour lui ». Un multiculturalisme véritable en somme, tel un défi posé en premier lieu à la gauche et à son renouvellement (théorique et pratique). Et d’ajouter : « Ne respectons pas simplement les autres, offrons-leur un combat commun, puisque nos problèmes, aujourd’hui, sont communs. »

Si le « métissage culturel » est bien la grande « nouveauté de notre temps » (selon les termes de Francesco Fistetti), il s’agit d’en prendre acte. Or, on le sait, la réponse républicaine à la française de « l’universalisme abstrait » rend invisibles les particularismes culturels, dont évidemment « pâtissent les membres de certains groupes plus que d’autres » (Michel Wierviorka). Un premier pas en France vers cette reconnaissance consisterait donc à accepter les fameuses statistiques « de la diversité » – et non pas « ethniques » –, qui permettraient au moins de sortir les groupes les plus discriminés de cette invisibilité (si commode pour ignorer leur existence) et de mettre en lumière les discriminations qu’ils subissent. Des statistiques qui ne saperaient en aucun cas les bases de notre sacro-saint édifice républicain, mais qui seraient au moins un début de reconnaissance de ceux qui n’ont, peu ou prou, jamais la parole. Un début qui pourrait nous remettre sur la voie d’un meilleur vivre-ensemble.

[^2]: 26 février 2011

[^3]: Théories du multiculturalisme. Un parcours entre philosophie et sciences sociales, Francesco Fistetti, La Découverte, 2009.

[^4]: 4 janvier 2011.

[^5]: Le Monde, 26 février 2011.

Idées
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