« Pov’cons » et fiers de l’être

Trois ans après la célèbre saillie présidentielle, une quarantaine de « pov’cons » se sont réunis à Paris pour dénoncer la multiplication des poursuites pour outrage.

Erwan Manac'h  • 3 mars 2011 abonné·es
« Pov’cons » et fiers de l’être
© Photo : MOCHET / afp

Avec un sourire goguenard, une quinzaine d’amis prennent la pause. Dans leurs mains, les lettres majuscules forment une expression… présidentielle. C’est le célèbre « Casse-toi pov’con », adressé par Nicolas Sarkozy le 23 février 2008, au Salon de l’agriculture, à un exploitant qui refusait de lui serrer la main.

À quelques rues de l’Élysée, le 23 février à midi, un apéro s’est tenu pour commémorer l’événement et enfoncer le clou contre le délit d’outrage, trois ans jour pour jour après l’injure de Nicolas Sarkozy. Depuis l’élection de l’ancien ministre de l’Intérieur en 2007, ce type de poursuites s’est répété. « Le code pénal prévoit une sanction pour le délit d’offense au président de la République, explique Jean-Jacques Reboux, éditeur-militant lui-même interpellé devant l’Élysée avec une pancarte, le 28 janvier 2010. Ce délit d’outrage n’avait pas été utilisé depuis le général de Gaulle. »

Le constat reste d’actualité, malgré les scandales répétés et la perte de légitimité du pouvoir. Ainsi, le 19 février, au Salon de l’agriculture, un homme a même été interpellé pour avoir lancé par deux fois « casse-toi pov’con » à l’endroit du Président. Après six heures de garde à vue, il a été poursuivi et attend désormais son procès, dans l’anonymat.

Dans la froideur du VIIIe arrondissement de Paris, en ce 23 février, Jean-Jacques Reboux, l’éditeur-pamphléteur-outrageur à l’initiative du regroupement, mégaphone dans une main, verre de vin dans l’autre, prend la parole pour faire patienter sa bande, en attendant la presse. Intervention immédiate du responsable des « services de police », une oreillette branchée dans l’auricule gauche. La manifestation devra s’arrêter à 14 h. « Pour le moment nous sommes raccord » , se félicite-t-il dans un sourire forcé avant de prendre poste au coin de la place, côté Élysée. Le rassemblement devait se tenir devant le fastueux hôtel Crillon, place de la Concorde, mais la préfecture n’a accordé aux « pov’cons » qu’un triangle de béton, ceinturé par trois voies de circulation et un kiosque à journaux, la place Chassaigne-Goyon.

Parmi la quarantaine de personnes présentes, on compte des « outrageurs » émérites. Hervé Éon a été poursuivi par le parquet de Laval, en août 2008, pour avoir brandi sur le trajet d’une visite présidentielle un bout de carton, format A4, avec la célèbre réplique. Condamné à 30 euros d’amende avec sursis en première instance et en appel, il a porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. « Ce procès était le comble de l’ubuesque, se souvient-il. Le procureur avait requis 1 000 euros contre moi. » Il lui aurait suffi de mettre l’invective présidentielle entre guillemets pour que l’offense redevienne citation et l’exempte de toute poursuite. Avec en plus la mention « il ne faut pas dire » , il aurait pu plaider la leçon de politesse devant la justice.

« Nous revendiquons notre droit à l’impertinence, poursuit le dangereux frondeur. Le peuple français c’est aussi cela : la gouaille, le franc-parler. »
Les poursuites sont aussi parfois intentées par les fonctionnaires, par excès de zèle ou de susceptibilité, comme en février 2008, quand un instituteur avait été poursuivi pour tapage diurne. Il avait lancé, dans le hall de la gare Saint-Charles de Marseille, « Sarkozy je te vois » , pendant un contrôle de police musclé. Une affaire qui n’a entraîné aucune condamnation, mais a mis la chancellerie dans l’embarras.

Autre affaire moins médiatisée, celle qui a conduit Maria Vuillet en garde à vue le 22 octobre 2007, jour d’hommage à Guy Môquet institué par le Président. Elle s’était jointe à la foule manifestant contre la récupération de la mémoire du jeune résistant, près de la station de métro parisienne portant son nom. Sifflant avec des dizaines de jeunes le passage du sous-préfet Frédéric Lacave, présent sur place pour une cérémonie dans le métro, elle a été interpellée et poursuivie par celui-ci, qui s’est estimé offensé dans un court échange. « Madame, je représente la France » , aurait-il dit en sa direction. C’est la réponse qu’elle lui fit qui l’exposa aux poursuites : « Oui, mais pas celle qu’aurait voulue Guy Môquet. » Maria Vuillet n’a pas été condamnée en première instance ni en appel. Derrière chacun de ces cas et tous ceux qui n’auront pas été médiatisés pointe l’effroyable vérité dénoncée par les « pov’cons » : la liberté de critiquer un président qui « méprise les gens modestes » n’est plus.

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