Des chiffres et des êtres

La légère hausse du pouvoir d’achat constatée par l’Insee masque de grandes disparités. Les statistiques sont incapables de percevoir les difficultés grandissantes de nombreux ménages.

Pauline Graulle  • 14 avril 2011 abonné·es

Les Français sont inquiets. Plus de la moitié d’entre eux estiment que leur pouvoir d’achat va « diminuer » au cours des prochains mois. 70 % prophétisent que le prix de l’essence va flamber, 72 % que le prix du pain et de la viande va augmenter [[Sondage Viavoice-BPCE-Les Échos-France Info
du 2 avril 2011.]]… Et pendant ce temps-là, à l’Insee ? Tout va très bien, madame la marquise ! L’institut est formel : le pouvoir d’achat des ménages continue d’augmenter, de l’ordre de 2 % chaque année, depuis plus de vingt-cinq ans. Comment alors expliquer cet abîme entre pouvoir d’achat ressenti et pouvoir d’achat calculé ?

Souvent confondu avec le niveau des prix, le pouvoir d’achat est égal à : tout ce qui entre dans la poche des Français (salaires, revenus du patrimoine, prestations sociales, etc.) moins ce qui en sort côté impôts et cotisation, le tout corrigé de l’inflation. Au bout du compte, on obtient le « revenu réel des ménages ». Mais cette mesure macro­économique du pouvoir d’achat ne traduit que partiellement la réalité. « Il faut donc ramener le pouvoir d’achat à un niveau individuel » , explique Fabrice Lenglart, chef du département Comptes sociaux à l’Insee. Plus près du ressenti de chacun, le « pouvoir d’achat par unité de consommation » (qui prend en compte la composition des ménages) croît ainsi d’un petit 1 % en moyenne par an. Sa progression s’est même ralentie nettement depuis la crise (- 0,4 % en 2008 ; + 0,8 % en 2009, + 0,4 % en 2010).

Reste un gros angle mort. Sur dix ans, le pouvoir d’achat de la famille Durand, composée d’une mère célibataire institutrice qui élève ses enfants au cœur d’une grande ville et se chauffe au gaz, a-t-il augmenté à la même allure que celui de la famille Dupont habitant en banlieue, et où le père est boursicoteur à ses heures ? Cela, l’Insee n’est pas capable de le dire. « Les sources à grande échelle dont nous disposons ne nous permettent pas de rendre compte finement de l’hétérogénéité des ni­veaux de vie, c’est pourquoi, pour l’instant, nous restons sur des moyennes » , poursuit Fabrice Lenglart.

Sauf sur 2003, année pour laquelle l’Insee s’est essayé au calcul complexe des écarts de pouvoir d’achat entre catégories sociales. L’organisme s’est notamment penché sur les dépenses « pré-engagées » – les frais de logement et les divers abonnements (électricité, télécommunications, assurances, etc.) –, pour conclure que « ces dépenses […] repré­sentent un tiers du revenu des ménages les plus modestes, contre un cinquième chez les plus aisés » . On ne peut pas savoir si l’écart s’est creusé depuis 2003, mais on sait en revanche que, depuis cinquante ans, la part des dépenses contraintes a doublé, passant en moyenne de 15 % à 30 % des revenus. Entre le développement des complémentaires retraites et l’augmentation des franchises médicales, on a désormais toutes les raisons de craindre que la politique de Nicolas Sarkozy, qui conduit à augmenter les dépenses contraintes par foyer, vienne aussi augmenter les ­disparités.

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La dérive guerrière ?
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