Des profs « lâchés dans l’arène »

Un rapport commandé par la ministre Valérie Pécresse fustige le nouveau dispositif de formation
des enseignants. Syndicats et parlementaires réclament une remise à plat de la « masterisation ».

Ingrid Merckx  • 28 avril 2011 abonné·es
Des profs « lâchés dans l’arène »
© Photo : AFP / Daniau

La rentrée 2010 a vu arriver dans les classes les premiers lauréats du concours d’enseignement depuis la réforme Darcos : des profs nouvelles formule, titulaires d’un master deuxième année (M2, d’où ce terme « masterisation »). Le niveau de diplôme est plus élevé qu’auparavant : bac + 5 au lieu de bac + 3. Mais la formation s’est considérablement réduite. Les futurs enseignants ne bénéficient plus d’une année de formation obligatoire en Institut de formation des maîtres (IUFM) l’année suivant le concours. À la place, des stages ont été prévus après l’obtention du concours, mais sans cadrage national, sans préparation particulière ni retour d’expérience. Et, surtout, dans une proportion moindre : un tiers du temps en formation et deux tiers devant les élèves (c’était l’inverse avant la réforme). « Sachant que ce tiers de formation n’a même pas été effectif pour une bonne part » , déplore Marianne Baby, responsable du Snuipp, syndicat du premier degré. « Et que, bien souvent, la formation s’accomplit pendant le temps de service, voire en plus » , renchérit Emmanuel Mercier, du Snes, syndicat du second degré. Résultat : des profs « lâchés dans l’arène » , sans autre outil que leurs connaissances et leur bonne volonté. Un million d’élèves se seraient retrouvés cette année face à des enseignants non – ou très peu – formés. « Soit près d’un élève sur cinq » , résume Emmanuel Mercier. Générations sacrifiées ?

L’expression circule depuis le passage en force de cette réforme dite de la masterisation, défendue par Xavier Darcos dès 2008. Elle apparaît même dans le rapport d’étape que Jean-Michel Jolion, professeur des universités à Lyon et président du Comité de suivi du master, a adressé le 8 avril à Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, ainsi qu’à Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale. La ministre l’avait chargé d’évaluer « la masterisation de la formation ­initiale des enseignants » . Une question qui concerne les deux ministères : si l’université forme les enseignants, c’est l’Éducation nationale qui les emploie. « S’est installée une grande souffrance dans cette population étudiante, qui va bien au-delà de la seule impression d’être la génération sacrifiée sur l’autel de la mise en place d’un nouveau dispositif » , tance Jean-Michel Jolion, dont l’enquête concerne les futurs enseignants stagiaires 2011-2012.

Pour cette promotion, la situation s’annonce pire que pour la précédente. Les lauréats 2010 ont en effet bénéficié de 6 à 7 semaines de formation au début de leur prise de poste. Un « bonus » décroché par les syndicats et rendu possible par un quota d’enseignants et de formateurs disponibles, qui n’existera plus à la rentrée 2011. Autre problème, celui des reçus-collés : les étudiants qui obtiennent leur master mais échouent au concours. Que vont-ils faire l’année prochaine ? Se réinscrire dans un autre master (alors qu’ils en ont déjà un) mais lequel ? Y seront-ils acceptés ? S’inscrire dans un diplôme universitaire payant ? Repasser le concours en candidat libre mais sans statut d’étudiant ? Se tourner vers des formations privées ? Certaines universités, comme à Lyon, prévoient des filières complémentaires, souvent valables un an seulement. Que faire s’ils échouent deux fois ?

Difficulté suivante : la place et le contenu du concours. Aujourd’hui, les étudiants doivent passer une épreuve d’admissibilité en début de master 2, puis d’admission à la fin. Ce qui veut dire qu’ils préparent la première pendant l’été – quid de ceux qui doivent gagner de l’argent pendant cette période ? – et la seconde pendant l’année, alors qu’ils doivent revoir leurs connaissances en langues (l’épreuve est ardue), effectuer 108 heures de stages « en responsabilité » et rendre un travail de recherche que beaucoup jugent déconnecté du métier. « L’année de M2 est intenable » , tranche Marianne Baby. Former les enseignants avant le concours fait aussi débat. Certains redoutent une professionnalisation précoce quand les concours de la Fonction publique doivent rester ouverts à tous. « C’est pourquoi la formation initiale professionnelle ne peut avoir lieu qu’après la réussite au concours », martèle le Snes, qui porte l’idée d’une formation « d’abord disciplinaire à l’université, progressivement préprofessionnalisante et une véritable formation initiale professionnelle après la réussite au concours » .

« La réforme de la masterisation a été faite à l’envers, uniquement pour des raisons budgétaires , peste Jean-Michel Jolion. Rien n’a été anticipé. Elle est passée sans concertation et sans aucun outil d’auto-évaluation. » Après recoupements d’enquêtes et recueil de témoignages, il a pris l’initiative de publier un prérapport anticipé. Selon lui, des aménagements sont possibles dès maintenant : trouver un statut pour les reçus-collés, alléger la maîtrise des langues au concours, faire passer la consigne que les activités de recherche en M2 doivent être en lien avec le métier, et prévoir une vraie supervision de la masterisation. Mais, contrairement à ce qui est écrit dans son prérapport – une coquille, regrette-t-il –, il estime que ces ajustements « ne suffiront pas » . De quoi conforter les syndicats qui entendent « tout remettre à plat » . Ils appellent à une journée d’action le 18 mai. Deux jours plus tard, les parents d’élèves organisent une « Nuit des écoles ». En sus de la colère soulevée par la formation des enseignants, la décroissance des effectifs inquiète de plus en plus. Encore 16 000 suppressions de postes annoncées pour la rentrée 2011.

« Mon souci, au fond, c’est de mettre devant nos enfants des professeurs mieux formés, connaissant mieux leurs matières et mieux préparés à l’enseignement d’une classe d’âge, tellement diverse et parfois si difficile » , a déclaré Nicolas Sarkozy le 19 janvier. Rarement l’écart entre le discours et le terrain aura été si grand. Partout, dans les instances de l’Éducation, à l’Assemblée, au Sénat, des débats s’organisent autour de la formation des enseignants. « La motivation de tous les étudiants est très importante, et l’on peut facilement penser que cette motivation est de loin la cause la plus forte du non-effondrement du nouveau dispositif » , clame Jean-Michel Jolion. Idem du côté de certains rectorats, selon lui, et des maîtres-formateurs, d’après le Snuiip. Pour le Président, « le chantier de l’avenir » n’est pas le nombre d’enseignants mais « la qualité de leur formation et la qualité de leur rémunération » , a-t-il rappelé. « Difficile, cependant, de séparer la question de la formation et celle des suppressions de postes, considère Jean-Michel Jolion. Pour des raisons politiques : elles signalent un désengagement de l’État. Et pour des raisons techniques : certains étudiants en M1 apprennent à la fin de l’année que les postes au concours dans leur discipline ont été supprimés ! »

Une préparation intenable, un calendrier d’inscription modifié discrètement, moins de postes au concours, des conditions de travail complexes : les candidats aux métiers de l’enseignement se réduisent. « Alors que les effectifs d’élèves augmentent » , alerte le Snuipp. Pour appliquer les suppressions de postes, les recteurs rognent sur le nombre de maîtres-formateurs, réduisent les options, augmentent les effectifs par classe… À la place de l’amélioration promise, c’est la généralisation du « système D ».

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