« Il faut investir dans les services publics »

Pour Louis Maurin, journaliste et fondateur de l’Observatoire des inégalités, la question du pouvoir d’achat masque celle de l’inégale redistribution des richesses.

Pauline Graulle  • 14 avril 2011 abonné·es

Politis : Estimez-vous justifiée l’incompréhension de la population face aux chiffres de l’Insee affirmant que le pouvoir d’achat progresse ?

Louis Maurin : Nous n’avons pas d’autre instrument que l’Insee pour y voir plus clair sur ce qu’on peut appeler, grosso modo, le niveau de vie des

Illustration - « Il faut investir dans  les services publics »

Français. Mais je m’interroge vraiment sur cette tendance à dramatiser la situation dans son ensemble et à faire peur à tout le monde… Depuis les années 1960, le niveau de vie des Français a doublé. À force de répéter que « la France va mal », on mélange tout. On dissimule les vrais problèmes et les vraies victimes : les personnes qui gagnent 450 euros par mois et les jeunes les moins qualifiés qui entrent dans la vie active sous des statuts précaires, avec des salaires de départ faibles, et qui doivent en même temps faire face à la flambée des prix du logement. Pour eux, oui, il y a un vrai problème de pouvoir d’achat ! Mais, pour le reste, la France demeure un pays riche.


Si la question du pouvoir d’achat est un problème – certes majeur – pour une minorité de personnes,
pourquoi les politiques en ont-ils fait une question si centrale ?

Comme la question de l’insécurité, le « problème » du pouvoir d’achat est mis en avant de façon démagogique – à droite comme à gauche –, ce qui permet de ne pas parler du reste. J’estime qu’au lieu d’essayer de donner plus d’argent aux individus, l’action publique ferait mieux de le mettre au service de la construction de services publics de qualité ! Cette remarque est valable pour la fiscalité. Il faut augmenter les impôts des plus riches, mais pas seulement : les classes moyennes et populaires doivent, elles aussi, de manière progressive bien sûr, contribuer à l’effort collectif. La partie la plus aisée de la population devra probablement renoncer à continuer de s’enrichir, et revenir au niveau de vie qui était le sien il y a cinq ans. Est-ce vraiment un drame ? Au fond, le problème n’est pas le pouvoir d’achat ou « la vie chère », mais bien la répartition des richesses.


Dans ce domaine, il y a fort à faire…

Oui. En dix ans, les inégalités se sont largement creusées. Les plus riches ont vu leurs revenus s’envoler en même temps que leurs impôts diminuer. Entre 1998 et 2008, le niveau de revenu annuel moyen des 10 % des ménages les plus riches s’est accru de 11 000 euros supplémentaires, inflation déduite et après impôts. Au cours de la même période, celui des 10 % les plus pauvres a augmenté de 970 euros. L’écart a donc progressé de 10 000 euros. De même, on a compté qu’en moyenne il faudrait environ 70 ans de travail supplémentaire à un ­ouvrier ou à un employé pour qu’il rattrape le niveau de vie d’un cadre. Plutôt que d’augmenter le pouvoir d’achat, la priorité est donc bien de mieux répartir les fruits de la croissance.

Ou de consommer moins ?

Je n’aime pas trop le discours très France d’en haut : « Les plus pauvres n’ont qu’à se passer d’acheter des écrans plats ! » D’autant que la communication et la publicité organisent un matraquage phénoménal et que la pression sociale sur les consommateurs est de plus en plus forte, ce qui est une des causes du surendettement. Néanmoins, nous allons être confrontés à des questions très fortes dans les prochaines années. Nous serons obligés de changer profondément nos habitudes en termes de consommation d’énergie ou de transports. Il va y avoir des réajustements très complexes à réaliser, par exemple sur l’automobile, ce qui va générer des mécontentements importants. Même si je ne suis pas un farouche partisan de la décroissance, il est clair qu’on ne peut pas continuer à consommer dans ces proportions.

Publié dans le dossier
La dérive guerrière ?
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