Le coup de sang de la santé publique

Inégale répartition des médecins, dépeçage des hôpitaux, menaces sur le secteur médico-social, baisse des remboursements de la Sécu… Un mouvement inédit se dresse contre ces dangereuses régressions.

Ingrid Merckx  et  Pauline Graulle  • 7 avril 2011 abonné·es
Le coup de sang de la santé publique
© Photo : GUILLOT / AFP

Un appel « Notre santé est en danger ! » a mobilisé le 2 avril les personnels du secteur de la santé publique, des collectifs d’usagers, des syndicats et des militants de gauche dans les régions. Une coordination nationale réunit désormais autour de ce texte plus de 90 organisations nationales et plus de 100 régionales ^2. Un mouvement jamais vu, se félicite Françoise Nay, l’une des responsables de la coordination, qui a recensé des rassemblements unitaires dans une soixantaine de localités. Et quelques victoires, notamment la réouverture du service de radiothérapie de l’hôpital de Guéret (Creuse). Où en est-on après deux ans de réforme ?

**Alix Béranger, consultante***

« Le coût des soins est dissuasif pour les patients »

L’accès aux soins se dégrade depuis les premières taxations en 2002, qui ont entraîné des « reste à charge » importants pour les patients. Auparavant, les associations de prévention allaient au-devant des plus précaires. Aujourd’hui, elles reçoivent des personnes beaucoup moins marginalisées qui, souvent, travaillent, mais qui, après avoir payé leur loyer et leur nourriture, ne peuvent plus régler leurs soins. Le curseur s’est déplacé : si les soins d’ophtalmologie et dentaires ont toujours été les premiers à « sauter », on observe désormais que l’accès aux généralistes est lui aussi retardé.
Par conséquent, des patients se retrouvent hospitalisés pour des complications liées, par exemple, à des bronchites non soignées. Cela veut dire que l’hôpital récupère aux urgences tous ceux qui n’ont pas pu se soigner ailleurs ; que les patients arrivent à l’hôpital avec des pathologies aggravées ; enfin, que l’hôpital coûte plus cher à la collectivité si les centres de santé et les médecins libéraux ne jouent pas leur rôle de premier accueil. Non seulement les professionnels culpabilisent, mais ils dénoncent en outre une logique qui, censée générer des économies, creuse le déficit en aggravant l’état de santé général.

* Coauteure de Nous ne sommes pas coupables
d’être malades !, éditions les Petits matins, 2010 et cofondatrice du site htpp://www.uneautresante.fr.

André Thomaso, chirurgien-dentiste libéral en Paca

« le gouvernement encourage l’exercice libéral »

Si les soins dentaires sont très mal remboursés, ce n’est pas un hasard, mais le résultat de 65 ans de politiques de santé libérales privilégiant la rentabilité. Par exemple, et les patients le savent peu, les prothèses dentaires sont au centre d’un marché juteux, devenu international (on délocalise dans ce domaine-là aussi !), que la plupart des dentistes ne remettent jamais en cause. Sous l’ère Jospin, la création de la CMU a engendré l’espoir d’un accès de tous à la santé. Mais beaucoup de dentistes libéraux refusent les « patients CMU », accusés, même par des responsables politiques, d’être des « profiteurs »… Face à cela, l’État n’a cessé de se désengager : le gouvernement encourage une médecine dominée par le paiement à l’acte et l’exercice libéral. Ce qui implique la liberté d’installation – qui va poser de sérieux problèmes de désertification sur certains territoires – et les dépassements d’honoraires. Il faudrait remettre à plat l’ensemble du système.

Khaldoun Elriz, chef de clinique, assistant au groupe hospitalier du Kremlin-Bicêtre, Val-de-Marne

« On doit rogner sur l’accueil et le suivi »

Ces dernières années, le travail quotidien à l’hôpital s’est dégradé. La tarification à l’activité, qui consiste pour les médecins à « coder » les malades selon une nomenclature correspondant à un « prix de revient » par pathologie, a fait entrer l’hôpital dans une course à la rentabilité. Pour arriver à tenir le rythme sans sacrifier le soin en tant que tel (examens, diagnostic, traitement), on se retrouve obligé de rogner sur certaines activités du parcours du patient comme l’accueil, l’information ou le suivi… D’autre part, depuis six ans que je travaille à l’hôpital, je constate une trop nette séparation entre le secteur administratif et le secteur de soins, ce qui conduit à une coupure entre les décisionnaires et les exécutants. Or, la médecine nécessite une appréciation qualitative, elle ne peut se réduire à des objectifs chiffrés !

Structurellement, cette manière de fonctionner ne peut pas durer, même si, pour l’instant, l’hôpital est toujours le meilleur endroit où se faire soigner quand on a une maladie grave, invalidante ou rare. Mais que va-t-il devenir ? Si le numerus clausus a été à juste titre augmenté pour former davantage de médecins, la volonté de diminuer le nombre de postes de praticiens à l’hôpital est affichée. Ce « surplus » de médecins va donc probablement s’orienter vers le secteur privé. C’est un euphémisme de dire que ce n’est pas un bon signe envoyé au secteur public !

Un médecin de PMI en banlieue parisienne, 58 ans

« On veut réserver les centres aux familles défavorisées »

Les PMI sont des lieux de prévention gratuits et très utiles, qui maintiennent le contact entre les professionnels de santé et les fa­milles. Mais, au­jourd’hui, on sent que la politique actuelle tente de trans­­former les PMI en espaces dédiés essentiellement aux fa­milles défavorisées, avec pour mission prioritaire le « repérage » des facteurs de risque. Une raréfaction des moyens pourrait entraîner un regroupement des centres et éloigner les populations de ces lieux de proximité. Enfin, avec le départ de la génération des baby-boomers en retraite, et parce qu’en début de carrière les salaires sont peu attractifs, on manque de médecins en PMI.

Pierre Paresys, psychiatre en métropole lilloise

« La loi bachelot est un rouleau compresseur »

Les agences régionales de santé (ARS) créées par la loi HPST de Roselyne Bachelot sont censées « mieux organiser » le système de santé sur chaque territoire. Elles ne sont en réalité que de froides et mécaniques courroies de transmission des directives de l’État. La loi HPST est un rouleau compresseur qui dé­truit aveuglément le service public de santé. La réduction drastique des moyens (au prétexte de faire des économies qui n’ont en réalité jamais lieu puisque les déficits se creusent et que le « reste à charge » de la ­population augmente pour le plus grand bénéfice des assurances !) conduit à l’augmentation des tensions dans les équipes et au développement d’une violence institutionnelle délétère pour les patients.

Par ailleurs, le projet de réforme de la psychiatrie viendra conforter cette évolution, par la généralisation et la banalisation du soin sous contrainte : les représentations coercitives et stigmatisantes de la psychiatrie vont finir par dissuader les malades de venir se soigner. Enfin, la loi HPST a éradiqué toutes les instances de débat et de contre-pouvoir à l’hôpital. Le seul discours qui vaille est celui de la réduction à n’importe quel prix des déficits créés mécaniquement par les ARS !

Christian Bonnaud, médecin généraliste libéral en Vendée

« Comment s’installer là où les services publics ont déserté ? »

Lors de mes activités de régulation (téléphonique) dans le département, je constate que de plus en plus de patients n’ont pas de médecin traitant. Souvent, ce sont de nouveaux arrivants qui ont des pathologies lourdes et que les généralistes refusent de prendre en charge, faute de temps. Le problème devrait encore s’accentuer dans les années à venir. La génération à laquelle j’appartiens va en effet bientôt prendre sa retraite, et les jeunes médecins sont un tiers de moins ! Malgré toutes les incitations financières, il sera mathématiquement impossible de repeupler de médecins le monde rural et les zones urbaines qui pâtissent de la désertification des services publics de proximité.
Comment voulez-vous, par exemple, qu’un jeune couple s’installe dans un village où il n’y a plus d’école ou de transports ? De­main, les « médecins de campagne » n’habiteront plus dans les campagnes, et s’éloigneront des patients âgés qui ne peuvent plus se déplacer. Les maisons de santé, dont le gouvernement souhaite le développement, ne suffiront pas à endiguer le phénomène.

[^2]: www.coordination-nationale.org 

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