Les « tueurs » se défendent

Le livre de Fabrice Nicolino accuse quatre des principales associations environnementales d’avoir « tué l’écologie » en se compromettant avec le pouvoir. Elles s’expliquent.

Pierre Thiesset  • 14 avril 2011 abonné·es

Des « obstacles » : c’est ainsi que Fabrice Nicolino, dans son livre Qui a tué l’écologie ? , qualifie la Fondation Nicolas-Hulot, France nature environnement, Greenpeace et le WWF. En recherchant des compromis avec les pouvoirs politique et économique, ces « écologistes de cour » deviendraient un « appendice de l’appareil d’État et de cette vaste machine industrielle qui détruit le monde à sa racine » . Institutionnalisée, l’écologie perdrait son origine subversive.

Les quatre ONG incriminées revendiquent le dialogue pour infléchir les pratiques et instiller des préoccupations environnementales. Benoît Hartmann, porte-parole de France nature environnement, défend cette position : « Comment peut-on oser espérer faire progresser un système en disant “Il n’y a pas de compromis possible, c’est le grand soir ou rien” ? Le problème, c’est que le grand soir, on ne le voit pas souvent. Les petits matins sont plus faciles à construire. » Pour Jacques-Olivier Barthes, directeur de la communication de WWF France, « il y a un narcissisme de la radicalité qui nous condamne à rester dans l’impuissance, en attendant l’insurrection. Si on veut mettre les mains dans le cambouis, à un moment il faut parler avec ceux qui détiennent le pouvoir. Il faut se colleter les grandes entreprises pour essayer de les faire bouger. Ce sont elles qui structurent l’économie internationale » .

Ce « principe de réalité » est aussi invoqué par Pascal Husting, directeur de Greenpeace France : « Nous sommes en accord avec les thèses d’Hervé Kempf [[Auteur de *Comment les riches détruisent la planète   ;
Pour sauver la planète, sortez du capitalisme  ;
L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie , au Seuil]], nous pensons qu’il faut changer en profondeur ce modèle économique à l’origine de la crise environnementale. Nous refusons le terme de décroissance, que nous jugeons trop connoté négativement, mais nous partageons sa radicalité. Seulement, la réalité actuelle, c’est le capitalisme. Nous n’avons pas le temps, nous devons obtenir à court terme des changements de la part des acteurs économiques. »*

Au risque de servir un régime mortifère, qui investit dans la communication verte pour s’acheter une virginité ? L’atomique EDF ou le dérouleur d’autoroutes Vinci se font passer pour vertueux en mettant en avant leur partenariat avec la Fondation Nicolas-Hulot. La grande distribution insiste sur ses liens avec le WWF. France nature environnement apporte sa caution au label commercial PEFC, sous couvert duquel sont détruites des forêts. Ces « figures de la conciliation impossible [^2] » contribuent à masquer le caractère destructeur de notre modèle de développement et à faire croire que l’écologie est compatible avec une croissance sans fin.

« Mais c’est une vision simpliste de rejeter la faute sur les industriels , se défend Cécile Ostria, directrice générale de la Fondation Nicolas-Hulot. Certes, ils ont un impact sur l’environnement. Mais les utilisateurs ont aussi une part de responsabilité. Il y a une contradiction quand on accuse Vinci de construire des autoroutes mais qu’on les utilise. » Même analyse chez le WWF : « C’est rassurant de montrer du doigt des grands groupes transnationaux. Mais nous-mêmes, dans nos dispositions personnelles, dans nos habitus intériorisés, comme l’a montré Bourdieu, nous ne sommes pas en dehors du système. Par notre mode de vie, nous soutenons aussi le capitalisme. »

Au lieu d’une opposition frontale, la « bande des quatre », accusée de compromission, préfère évoluer vers un lobbying à l’anglo-saxonne. « Les petites victoires amènent à fissurer l’édifice, à semer le doute dans les certitudes productivistes , se convainc Jacques-Olivier Barthes. On avance à tâtons, personne n’a la solution. Le libéralisme s’est imposé dans les têtes par un énorme travail de persuasion, mené par les think tanks. Le tournant écologiste doit faire la même chose : travailler sur les représentations pour créer un rapport de force et influencer les politiques publiques. » Benoît Hartmann appelle lui aussi à un « travail de plaidoyer » .

Partout, jusqu’au Grenelle de l’environnement, quitte à se voir accusé de soutenir une opération d’écoblanchiment au service des stratégies électoralistes de l’UMP. « On nous reproche souvent notre participation au Grenelle , reconnaît Pascal Husting. Mais la politique de la chaise vide aurait été une forme de lâcheté. Nous n’y sommes pas allés naïvement, mais, si on avait une chance infime de faire bouger les choses, il fallait être là. Les résultats sont plus que décevants, et nous avons toujours dénoncé les revirements. »

Fabrice Nicolino appelle à nommer l’adversaire et à affronter l’oligarchie. Paradoxalement, les associations qu’il dénonce l’approuvent : « Il faut mener le combat en ayant un pied dehors et un pied dedans , convient Pascal Husting. Nous nous inscrivons dans une logique de contre-pouvoir. » Au militantisme de dossier, chargé d’informer, d’opposer des contre-expertises, de proposer des alternatives, doit s’adjoindre une lutte de terrain, sur le modèle des mobilisations contre l’exploitation des gaz de schiste. La confrontation non-violente est assumée : « La radicalité nourrit le rapport de force , explique Benoît Hartmann. C’est en fédérant les luttes locales que l’on pèse dans les négociations. La conflictualité est nécessaire. »

[^2]: La Politique de l’oxymore, Bertrand Méheust, La Découverte, 2009.

Idées
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