Leur conception du « progressisme »

Ou comment, d’Élisabeth Badinter à Marin Karmitz, des personnalités de gauche sont devenues réactionnaires.

Olivier Doubre  • 7 avril 2011 abonné·es

Qui représente la gauche « de droite » dans le champ intellectuel ? La liste est longue tant nombre d’intellectuels en vue, tout en affirmant leur appartenance à la gauche, ne dissimulent pas leur ralliement à la doxa néolibérale et leur envie de « retour à l’ordre ». Le premier nom qui vient à l’esprit est celui de Bernard-Henri Lévy. Inutile de rappeler ses frasques, impostures et déclarations fleurant bon le social-libéralisme. On évitera aussi de s’attarder sur Sylviane Agacinski (et ses prises de position réactionnaires sur les couples de même sexe ou l’homoparentalité), le psychanalyste Jean-Pierre Winter (encore plus rétrograde sur les mêmes sujets), Jacques Attali ou le journaliste Bernard Guetta (et ses admonestations sur l’inconséquence du peuple lors du vote contre le TCE en 2005). Ni sur Frédéric Martel, Marcela Iacub ou le très médiatique Olivier Ferrand, patron du think tank social-libéral Terra Nova.

On se limitera ici à pointer le parcours d’un Marin Karmitz, richissime producteur de cinéma (avec sa société MK2), qui connut au début des années 1970 une période maoïste, durant laquelle il commit plusieurs films ouvriéristes. Après avoir longtemps fréquenté les allées du pouvoir socialiste, proche de Jack Lang et de Bernard Kouchner, il se transforma après 2007 en une sorte d’ Éric Besson de la culture en acceptant le cadeau que lui fit Nicolas Sarkozy pour son ralliement : un poste de « délégué général » du Conseil pour la création artistique, organisme dont les activités sont restées jusqu’ici plutôt floues.

Autre personnage de la galaxie de cette gauche « de droite » : Élisabeth Badinter. Historienne spécialiste du XVIIIe siècle, connue pour son engagement féministe, elle s’est distinguée il y a quelques années en prenant parti en faveur de la loi contre le « voile islamique ». Avec son dernier livre sur le féminisme, ses positions républicanistes se sont concentrées dans une attaque contre le mouvement écologiste, qu’elle accuse de vouloir nous ramener à l’ère d’avant la machine à laver, ce dont les femmes souffriraient en premier lieu…

Enfin, coutumier de déclarations musclées en faveur d’une restauration des valeurs traditionnelles, le philosophe Jean-Claude Michéa continue à se dire de gauche, voire « anticapitaliste », tout en ne cessant de hurler au loup en matière d’éducation. Regrettant la bonne vieille école de Jules Ferry et l’autorité infaillible des professeurs, il rappelle souvent, par ses propos, les envolées d’Alain Finkielkraut ou de feu Philippe Muray. Il est comme eux obnubilé par la prétendue « décadence » de nos sociétés, en proie à trop de jouissance… Dans l’Enseignement de l’ignorance (Climats, 1999), il s’est distingué par un pessimisme culturel bien dans l’air du temps, empilant les considérations paranoïaques sur l’évolution récente du système éducatif. Il participe, avec tant d’autres, « à la diffusion d’une thématique réactionnaire de la régression [^2] ». Mais rassurez-vous, tous ces gens sont bien « de gauche ».

[^2]: Emmanuel Todd, in Après la démocratie (Gallimard, 2008).

Idées
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