Où vont nos empreintes ?

Christine Tréguier  • 21 avril 2011 abonné·es

Depuis les attentats du 11 Septembre, on ne jure plus que par les documents d’identité biométriques. Sous couvert de lutter contre la fraude documentaire et le terrorisme, la collecte de nos identifiants uniques fait la fortune de quelques multinationales. Grâce, entre autre, aux commandes d’État, le marché est passé de 2,1 milliards de dollars en 2006 à 5,7 milliards en 2010. Un règlement européen de décembre 2004 a imposé aux États membres d’en insérer dans les passeports avant 2009. Puis sont venus les visas. Testés dans les consulats de certains pays générateurs de migrations – Maghreb, Afrique subsaharienne ou Moyen-Orient –, ils sont aujourd’hui en voie de généralisation.

En France, on aime tellement la biométrie, qu’on a également prévu de biométriser la carte d’identité. Le projet, baptisé Ines, a été suspendu fin 2005, mais une proposition de loi récente pourrait bien la remettre au goût du jour. Enfin, profitant d’une directive européenne qui se contente d’instaurer un permis de conduire électronique (muni d’une puce), le ministère de l’Intérieur a fait savoir que nous passerions dès 2013 au permis biométrique.

L’Europe a retenu deux éléments identifiants : la photographie numérisée et l’empreinte digitale. Deux doigts pour le passeport, dix pour les visas. Elle préconise de les stocker directement sur la puce sans contact insérée dans le document. Mais les États membres restent libres d’aménager ces règles. La France, pour sa part, a opté pour la photo numérisée plus l’empreinte de huit doigts pour le passeport, et la conservation de ces données dans un fichier centralisé. Un recours en annulation du décret fixant ce dispositif d’identification, déposé par la LDH et Iris (Imaginons un internet solidaire), est en attente d’une décision du Conseil d’État depuis plus de deux ans. Il pointe la possible utilisation de ce fichier à des fins policières.

La collecte massive des données biométriques des citoyens par les États n’est pas anodine. Comment gèrent-ils ces données très personnelles ? Leur circulation est-elle autorisée ? Quelles garanties a-t-on qu’elles ne se soient pas utilisées à d’autres fins ? Sont-elles suffisamment sécurisées ? Comment parer aux risques de piratage et de corruption d’identité ? Ces questions, quatre-vingts organisations de défense des libertés, réunies au sein d’une alliance européenne, se les sont posées. Soucieuses de savoir si les droits fondamentaux et les critères de protection édictés par la Cour européenne des droits de l’homme sont respectés, elles ont transmis une pétition au Conseil de l’Europe : « Il est capital d’avoir un aperçu des différentes législations nationales qui traitent de ce sujet sensible et important. Un examen approfondi doit être effectué afin de savoir si les droits de l’homme sont garantis et si les critères concernant la nécessité (proportionnalité, subsidiarité et sécurité) sont effectivement respectés. » Pour Simon Davies, fondateur de Privacy International, c’est le principe même qui est en cause car, « dans une société démocratique, la collecte et le stockage des données biométriques de toute une population constituent une atteinte disproportionnée à la vie privée, mais également à d’autres droits, comme la présomption d’innocence » .

La pétition en ligne : https://www.privacyinternational.org/node/6982

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