Que fait la France à Djibouti ?

Avec sa principale base militaire à l’extérieur, la France continue de soutenir le régime dictatorial face aux aspirations démocratiques. Jusqu’à quand ?

Jean Sébastien Mora  • 14 avril 2011 abonné·es

À Djibouti, la police offre une image qui est un fidèle reflet du régime, un des plus durs et des plus mafieux d’Afrique. Alors qu’une vague d’aspiration démocratique secoue le monde arabo-musulman, le seul pays francophone d’Afrique de l’Est demeure un territoire d’exception, où la répression reste virulente. Très désertique, le pays ne compte que 800 000 habitants, principalement afars, arabes et issas. Mais, pour les Occidentaux, l’ex-Côte française des Somalis est avant tout une base géostratégique dans la mer Rouge, aux portes du Moyen-Orient et du golfe d’Aden. Avec environ 3 000 soldats français, une dizaine de Mirage, des hélicoptères et des navires de combat, Djibouti est la première implantation militaire française à l’étranger. La France y a favorisé comme ailleurs la captation du pouvoir par un dictateur local. Au fil des années, les marines (après le 11-Septembre), des militaires allemands et espagnols, et même des Japonais s’y sont installés. Une véritable manne financière pour le régime. En 1999, le chef de la sécurité intérieure, Ismail Omar Guelleh, se voit offrir le pouvoir par le Président sortant. Surnommé IOG, ce sextagénaire somali mène depuis une politique mafieuse fondée sur la distinction ethnique et l’enrichissement de sa « tribu », les Somali Massaman. Il a exclu du pouvoir la plupart des cadres afars et arabes, et a laminé toute presse indépendante, même RFI. « Des élections libres et transparentes sont devenues impossibles » , explique Kassim Ali Dini, secrétaire général de l’Alliance républicaine pour le développement.

Fin janvier, la tension est montée d’un cran, lorsque la population a emboîté le pas de la révolution tunisienne. Le régime a coupé court à toute aspiration démocratique : l’importante manifestation du 18 février s’est soldée par deux morts. Depuis, les rassemblements sont interdits, les arrestations politiques se sont multipliées, et les actes de torture sont ­systématiques. Fin mars, on apprend la mort par balles d’Ahmed Abdillahi Faray, un des permanents de Democracy International, une ONG qui y a diligenté une mission d’observation. « On est sans nouvelles de plus de 80 militants détenus dans les prisons officieuses du régime » , dénonce Jean-Paul Noël, président de la Ligue des droits de l’homme djiboutienne.

Le régime est tout aussi méprisant à l’égard de la communauté internationale. En toute impunité, le ministre de la Santé djiboutien vient de détourner pas loin de 15 millions de dollars alloués par le Fonds mondial de lutte contre le sida. Alors que la croissance du PIB frôle les 5 % par an, la grande pauvreté concerne 48 % de la population. « Ce décalage signifie que les performances économiques ne profitent qu’à la famille du chef de l’État et à ses proches » , confie Ali Coubba, président d’un autre parti d’opposition, l’Uguta-Toosa. En une vingtaine d’années, IOG aurait accumulé une fortune considérable. S’il a fait main basse sur l’important commerce du port de Djibouti City, seule entrée maritime pour l’Éthiopie, les dernières révélations de WikiLeaks l’accusent d’être un trafiquant d’armes et d’alcool. Dans le début des années 2000, quelques médias anglo-saxons ont aussi démontré ses liens étroits avec la piraterie somalienne, alors même que c’est à Djibouti qu’est basée l’opération Atalante contre ces mêmes pirates.

« La France est attentive au respect des droits fondamentaux à Djibouti » , a assuré Alain Juppé, le 20 mars. Difficile à croire ! Certes, depuis l’affaire Borrel, du nom de ce magistrat français retrouvé mort en 1995, les relations entre Djibouti et Paris se sont compliquées. Mais, la France forme toujours la garde républicaine, cette milice « à tout faire » à la solde du dictateur. Dans les années 1990, l’armée française a appuyé la politique de répression contre la rébellion afar. Interrogés dans leurs bases, les soldats français reconnaissent volontiers Djibouti comme une dictature. Certains évoquent même la corruption d’officiers français par le régime. Ainsi cette affaire concernant l’un des plus hauts gradés des forces françaises de Djibouti, qui, pour remplir sa piscine, a privé d’eau tout un quartier.

Le 8 avril, IOG a remporté sans problème la présidentielle avec 76 % des suffrages. En cas de révolte démocratique, dans quel camp se placera la France ?

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La dérive guerrière ?
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