Surveillons-nous les uns les autres

Christine Tréguier  • 7 avril 2011 abonné·es

Pour faire face à la réduction des effectifs policiers, l’état sarkozyste banalise la délation et pousse les citoyens à se faire auxiliaires de police. Cette stratégie porte un nom, la coproduction de la sécurité : élus, représentants de la justice, travailleurs sociaux, enseignants et simples citoyens doivent activement participer à la « tranquillité publique ». En d’autres termes, la sécurité est l’affaire de tout le monde, et chacun est prié de mutualiser les informations à sa disposition afin de repérer, empêcher et sanctionner les citoyens susceptibles de troubler l’ordre public. De nouveaux vocables désignant ces citoyens-partenaires ont ainsi fait leur apparition.

Dès 2008, on a vu émerger le concept de « voisins vigilants », inspirés du principe anglo-saxon de « neighbourhood watch » . Quiconque observe dans son quartier un véhicule ou des individus suspects est invité à en informer la police. Les expériences se sont multipliées, en particulier dans les Alpes-Maritimes, où elles ont trouvé un avocat de choix en la personne de Christian Estrosi. Ces opérations sont coordonnées par les préfets, et un même logo (un œil dessiné sur fond jaune) orne les panneaux apposés dans les villes et les quartiers qui les mettent en place. Dans le Nord, un concept similaire avait été envisagé sous le nom de « citoyens-relais ». Et dans le Var, le maire UMP de La Crau a décidé, sans même consulter son conseil municipal, d’instaurer « un système de vigilance citoyenne » . Son dispositif compte 200 référents anonymes (pour 16 000 habitants), censés rapporter à la commune dégradations diverses, problèmes de stationnement, de propreté, etc. Le maire récuse les accusations d’incitation à la délation de l’opposition et de la LDH, mais précise néanmoins dans le bulletin local : « J’estime que n’importe quel citoyen s’il est témoin d’une agression ou d’un vol caractérisé ne peut être indifférent, aveugle et muet, et donc complice des auteurs de délits. »

Autre catégorie, les « citoyens volontaires ». Inscrits dans la loi prévention de la délinquance de 2007, on les trouve à l’accueil dans les commissariats, aux abords des écoles ou même dans les écoles pour des missions d’information, glanant des renseignements auprès des gardiens d’immeuble, etc. Des missions dites « de médiation sociale et de sensibilisation au respect de la loi » qui ont l’avantage d’être bénévoles. Avec la Loppsi 2, ces précieux auxiliaires montent en grade et pourront désormais intégrer la réserve civile de la police et de la gendarmerie, au même titre que les fonctionnaires retraités de ces administrations. Une disposition qui inquiète jusque dans les rangs de la police. Le syndicat Unité SGP Police « s’interroge sur cette volonté de créer un semblant de “milices” armées et mal formées plutôt que de maintenir des policiers nationaux » , et voit dans ces bénévoles un moyen dissimulé de pallier les réductions d’effectifs et le démantèlement du service public consécutifs à la RGPP.

Et si pour favoriser ce dialogue entre les habitants et leur police, que tous disent nécessaire, on laissait chacun à sa place et on se donnait plutôt les moyens d’une bonne vieille police de proximité ?

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