À contre-courant / Les équations perdantes du PS

Jean-Marie Harribey  • 26 mai 2011 abonné·es

Deux études proposant une stratégie électorale pour le PS ont été présentées par la presse (Le Monde, 11 mai 2001) comme relevant de deux choix opposés. La Fondation Terra Nova, présidée par Olivier Ferrand, ( « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » ) considère que la base privilégiée de la social-démocratie doit être ceux pour qui l’essentiel ne se situe plus dans les préoccupations socio-économiques mais dans les valeurs culturelles : « la France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes : elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive » (p. 10). Sont ainsi visés les jeunes, les femmes, les diplômés, les classes moyennes, alors que les ouvriers ont en masse sauté le pas vers la droite. Mais ce socle est insuffisant pour réunir plus de 50 % de l’électorat. Aussi Terra Nova estime-t-elle nécessaire de l’élargir davantage vers les catégories populaires et moyennes. Le problème est que les aspirations des unes et des autres, si on les pose ainsi, sont contradictoires.

De leur côté, Laurent Baumel et Pierre Kalfon signent un ouvrage, L’équation gagnante (Le Bord de l’eau, 2011), en pariant au contraire sur le recentrage du PS vers les catégories populaires dont la menace de précarisation les avait éloignées de la gauche en faisant confiance en 2007 à Sarkozy, ou les fait regarder aujourd’hui vers Le Pen. La stratégie est risquée là aussi, nous disent les auteurs, car il faut aller au-delà pour constituer une majorité. Mais, plutôt que de viser les jeunes et les minorités des quartiers populaires au comportement très abstentionniste, il faut reprendre pied chez les seniors dont le vote est historiquement acquis à la droite.

Ce qui fait problème dans ces analyses prétendument sociologiques, c’est que la stratégie ne se définit qu’en termes de calculs électoraux, jamais en termes de projet de société, sinon celui de conforter le processus d’accomplissement du capitalisme. Chez Terra Nova, on oublie que la désertion de l’électorat populaire par rapport à la gauche traditionnelle pourrait avoir pour cause, au moins en partie, l’abandon par cette gauche des revendications populaires prioritaires et l’alignement sur beaucoup des dogmes néolibéraux, notamment européens, allant jusqu’à abandonner les mots d’« ouvrier » et de « travail » à la droite et l’extrême droite. De manière implicite chez Terra Nova et explicite chez Baumel et Kalfon, le capitalisme est notre horizon indépassable.

En confondant capitalisme et marché (p. 27), Baumel et Kalfon en appellent au « compromis » (p. 17) avec le capitalisme et à l’abandon de « la complainte permanente contre la mondialisation libérale » (p. 27). Comment cette « acceptation du capitalisme » (p. 27) doit-elle se manifester ? Par exemple, en « incarnant une écologie intelligente » (p. 30) : « Si l’émotion considérable et légitime engendrée par la tragédie de Fukushima relance incontestablement la réflexion sur l’évolution nécessaire du « mix énergétique » français, elle ne peut conduire par exemple un parti empreint de l’esprit de responsabilité et du sens des réalités à décréter du jour au lendemain le démantèlement de la filière nucléaire » (p. 32). Un esprit de responsabilité qui va jusqu’à considérer que « l’arme nucléaire » fait partie « des positions fortes de la France » (p. 85).

Que faire pour « reconquérir la France qui se lève tôt » (p. 57) ? Augmenter le SMIC ? Non. Réduire le temps de travail ? Non. Il faut « rétablir une « société du travail » » (p. 60), sans que les auteurs voient que cette rhétorique dissimule deux aspects contradictoires : la nécessité de mettre un terme à la dégradation de la condition des travailleurs et le silence total sur la RTT, c’est-à-dire le silence sur une autre nécessité, celle de ne pas assimiler la vie au travail[^2]. Dans le droit fil des atermoiements du PS sur les retraites, les auteurs admettent que « [la gauche] devra aussi incarner la possibilité d’une réforme alternative, qui mette davantage à contribution le capital tout en assumant, via l’allongement la durée de cotisations, un nouveau partage entre le temps de vie consacré à l’activité et le temps de vie consacré à la retraite » (p. 85). Nos auteurs reprennent à leur compte l’idée selon laquelle « le rapport entre « profits bruts » et « rémunération du travail » est resté à peu près stable en France au cours des dernières décennies » (p. 69), en oubliant que la stabilité depuis vingt ans a fait suite à une grande détérioration auparavant, l’accroissement des inégalités « entre la masse des salariés et les plus hauts salaires » représentant la forme récente de cette détérioration.

Le curseur stratégique est donc placé le plus à droite possible de la gauche. Et Ferrand le dit sans ambages dans une interview au Point : « Puisqu’il existe un risque de 21 avril fort, il ne faut pas se tromper de cible, il faut faire campagne au premier tour sur les valeurs historiques de la gauche : l’égalité, la justice sociale, un État fort et des valeurs culturelles ouvertes. Ça ne veut pas dire ne pas aller chercher les valeurs de la droite et encore moins celles de l’extrême droite ! » ^3 Au-delà de leurs différences d’apparence, ces deux stratégies sont porteuses de défaite politique au regard des intérêts populaires. Ce sont des équations perdantes qui étaient formulées au service de celui par qui le scandale est arrivé. Elles seraient également perdantes si elles trouvaient un(e) repreneur(se) au sein de la gauche.

[^2]: Voir une de mes anciennes chroniques « Un regard positif sur le travail », Politis, 31 mai 2007, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/travail/travail-positif.pdf.

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