Attention, les parents se fâchent !

Durant la nuit du 20 mai, des parents d’élèves occuperont les écoles de leurs enfants pour protester contre les suppressions de postes et les non-remplacements d’enseignants. Quatre d’entre eux témoignent.

Ingrid Merckx  • 19 mai 2011 abonné·es
Attention, les parents se fâchent !
© Photo: AFP / Langlois

Le 18 mai, les enseignants étaient dans la rue. Le 20 mai, ce sont les parents qui investissent les établissements pour une « Nuit des écoles ». Objectif : protester contre la dégradation de l’Éducation nationale. La réduction des moyens entraîne cette année des suppressions de postes d’une ampleur inédite : jusqu’à 3 500 dans le premier degré. Par conséquent, des classes et des établissements ferment, en priorité en maternelle, dans les lycées professionnels et en milieu rural. Avec cette opération, « qui n’est qu’une étape dans une mobilisation multiforme visant à réclamer l’organisation d’un collectif budgétaire avant l’été », selon les mots de la direction de la FCPE, les parents, excédés, « prennent leurs affaires en main ».

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Félicia, 40 ans, écoles Providence
et Espérance, Paris, XIIIe**

Illustration - Attention, les parents se fâchent !

« Nous ne sommes pas d’accord !, répète Félicia. Les parents d’élèves ont leur mot à dire. Il faut les entendre ! » Chargée de projet informatique dans une banque, et membre de la FCPE, elle fait partie des parents qui occupent depuis début mars les écoles Espérance et Providence A et B. Ses deux garçons sont scolarisés dans ce groupe scolaire. Chaque mardi, « à 2 ou à 13 ! » , ils investissent le bureau d’un des directeurs avant d’aller travailler. Ils répondent au téléphone et monopolisent le fax pour envoyer des messages à la presse, aux élus, aux instances publiques.

« Il faut informer le plus largement possible ! Tous ceux à qui on a expliqué la situation ont signé notre pétition. » Près de 300 en deux jours pour réclamer le maintien d’au moins un poste Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) dans ce groupe scolaire qui en a perdu un, et dont l’autre est menacé. « Que vont devenir nos élèves en difficulté ? Sans compter que chaque élève peut avoir besoin d’un maître Rased à un moment ou à un autre. » Une classe entière sera supprimée, ce qui fera grimper les effectifs dans les autres. À noter : du fait d’un conseil de la FCPE parisienne, la Nuit des écoles se tiendra le 27 mai dans la capitale.

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Marie-Noëlle, 47 ans,
lycée Déodat-de-Séverac,
Céret (Pyrénées-Orientales)**

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C’est moins une question de restrictions budgétaires que de choix politique, cette fois. Le lycée Déodat-de-Séverac est menacé par le projet de construction d’un lycée à Argelès-sur-Mer, à 25 km. L’offre du second devrait compléter celle du premier, qui existe depuis 1929. Mais, en réalité, les deux pourraient entrer en concurrence, l’établissement d’Argelès venant prélever jusqu’à 45 % des effectifs du lycée de Céret. Ce qui signifie pour celui-ci la suppression de ses filières littéraires et technologiques, puis la fuite d’une partie des élèves vers Argelès et Perpignan. Et peut-être, à terme, la ­fermeture. Une catastrophe dans cette ville de 8 000 habitants qui attire les lycéens de la côte et du Haut-Vallespir, et dynamise cette région un peu sauvage. Sans compter que Céret a déjà perdu son tribunal d’instance et sa maternité. Un collectif de défense du lycée s’est créé. En son sein, des enseignants, des habitants, et des parents, dont Marie-Noëlle, infirmière de 49 ans, de l’Association des pares alumnes, (« parents d’élèves » en catalan). « Mes trois enfants ne seront pas concernés par le lycée d’Argelès, ils ne seront plus scolarisés, mais, comme beaucoup, je me bats pour le principe : aller au lycée à Argelès représenterait deux heures de trajet par jour pour bien des élèves, et cela appauvrirait Céret, où la population est vieillissante ! » Pas d’occupation d’établissement prévue, mais des blocages ont lieu, ainsi que des manifestations. « C’est grâce à la mobilisation du collectif qu’on a obtenu la tenue d’une table ronde avec l’inspection et la Région le 15 avril. Les parents d’élèves ont du pouvoir ! »

Muriel, 45 ans, école Jean-Jaurès
Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis)

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Muriel est « une enfant de Jean-Jaurès » . Elle y a suivi sa scolarité, puis y a mis ses cinq enfants. Des occupations d’école, elle en a vu plusieurs… « Mais comme celle-ci, jamais ! » Trois mois non-stop de janvier à avril, alors que la situation avait atteint un point critique : « J’arrivais le matin, je voyais plein de gamins assis dans le hall : cinq profs absents non remplacés ! Les parents qui pouvaient ramenaient les enfants à la maison, les autres étaient tassés dans les classes restantes. Vous imaginez ça plusieurs semaines ? Les enfants perdent leurs repères, s’ennuient ou stressent parce qu’ils prennent du retard sur le programme. Le ministre dit qu’ils travaillent même quand leur prof est absent. Mais mon fils qui est en CM1, quand il passe la journée en CP, vous croyez qu’il travaille ? On le faisait rattraper un peu à la maison mais, dans ce quartier très populaire, tous les parents ne peuvent pas… »

Résultat de cette occupation record ? « On a reconnu notre situation. Des messages de soutien nous parviennent. On fait circuler un appel pour que l’école redevienne une priorité, la Halde a enregistré notre plainte pour discrimination territoriale, et on a obtenu le rattrapage d’heures manquées. Mais, au niveau des remplaçants, ce n’est pas gagné : les quelques-uns obtenus sont déjà affectés, et ils ont été ponctionnés sur le quota des écoles voisines. Ce n’est pas une solution ! » Muriel est « très inquiète » pour la rentrée : son dernier, qui va entrer en 6e, est dyslexique. Elle le voit mal sans profs fixes, face à des stagiaires mal formés et dans une classe de 28 ou 30, alors que l’école est classée ZEP.

Olivier, 53 ans, école Wicar, Lille

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« J’ai deux pieds dedans » , annonce Olivier, communicant, père de six enfants, dont une à l’école maternelle Wicar. Il est aussi président du conseil de cette école et secrétaire général adjoint de la FCPE Nord. Wicar est menacée par une nouvelle fermeture de classe à la rentrée, après une première voici quelques années. Ce qui ferait passer les effectifs de 25 à 30 par classe. La raison : l’académie se fonde sur les données démographiques du quartier. Or, l’école est située en centre-ville de Lille, où il n’y a pas de sectorisation. Elle accueille donc des enfants – 151 élèves – dont les parents viennent de la périphérie pour travailler dans le centre.

« Il va y avoir un nouveau calcul fin juin et un autre début septembre. Tout n’est pas joué ! » , souligne Olivier. Du coup, pour la Nuit des écoles, les parents organisent une « inscription sauvage » sur le trottoir, qu’ils enverront à la mairie et à l’inspecteur du secteur. « L’inspecteur d’académie n’a plus aucune marge de manœuvre. Débloquer un poste pour une école, c’est en déshabiller une autre ! Avec les Yvelines, le Nord est un des départements les plus touchés par les suppressions de postes : 800 dans le premier degré, 50 administratifs, et même 200 postes dans le privé ! » Le 13 mai, au moins 200 écoles primaires, un peu plus de 50 collèges et une vingtaine de lycées avaient annoncé leur participation à la Nuit des écoles.

Société
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