La Banque mondiale finance le passé

La nouvelle « stratégie énergie » de l’institution internationale fait la part belle aux projets polluants et qui ne profitent pas vraiment aux populations défavorisées. Des ONG manifestent leur indignation.

Sophie Chapelle  • 12 mai 2011 abonné·es

Dans les couloirs de la Banque mondiale, qui tenait son assemblée de printemps à Washington ces 16 et 17 avril, la tension était palpable. Les yeux étaient rivés sur un texte : une version de la « stratégie énergie » de la banque qui a fuité. Une fois votée, cette stratégie guidera les investissements de la Banque mondiale pour les dix prochaines années. Si ces orientations sont très attendues, notamment par les ONG environnementales, c’est que la Banque mondiale est encore surnommée « la banque fossile ». En dépit de tous les grands engagements internationaux pour réduire l’empreinte carbone, cette institution continue d’investir des milliards de dollars dans les projets polluants. Rien qu’en 2010, 6,6 milliards de dollars (soit 4,8 milliards d’euros) ont été dépensés dans les énergies fossiles. « Une augmentation record de 116 % par rapport à l’année précédente » , commente Anne-Sophie Simpere, en charge de la « responsabilité des acteurs financiers » aux Amis de la Terre.

La Banque mondiale s’était pourtant engagée à consacrer d’ici à 2011 la moitié de ses investissements à des technologies à faible intensité carbone. Cela ne l’a pas empêchée d’accorder un prêt de plus de 3 milliards de dollars à la centrale à charbon de Medupi, en Afrique du Sud. Outre les rejets de soufre et de mercure engendrant de graves ­pollutions de l’air, des sols et des eaux, cette mégacentrale servira principalement à l’alimentation en électricité des activités minières des multinationales opérant en Afrique du Sud. Alors que cinq États s’étaient abstenus lors du vote, la France a soutenu le projet… « afin de défendre les intérêts d’Alstom, impliqué dans la construction de la centrale » , accuse la militante des Amis de la Terre.

Le point d’achoppement de cette nouvelle « stratégie énergie », c’est justement les financements accordés aux centrales à charbon, qui émettent deux fois plus de CO2 que le gaz naturel, cent fois plus que l’énergie hydroélectrique. La Banque mondiale n’accordera plus de prêts aux pays à « revenus intermédiaires » (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Inde, Indonésie…) qui souhaitent en construire. Un premier pas positif pour les ONG. Une exemption les inquiète cependant : « La Banque mondiale se laisse notamment la possibilité de financer des centrales dès lors qu’elles font appel à des technologies innovantes telles que le captage et le stockage du carbone » , souligne Anne-Sophie Simpere. De telles technologies sont loin d’être au point et comportent des risques. Autre question : quid des pays les plus pauvres ? Ils pourront continuer à obtenir une aide financière pour leurs centrales à charbon. Considérant qu’ils n’ont pas la possibilité de se tourner vers des projets plus propres, « la Banque mondiale les condamne à un futur à haute teneur en carbone » , déplore l’ONG Christian Aid.

Face à ces critères, les pays émergents, Chine et Brésil en tête, ont fait bloc, qualifiant cette stratégie de « discriminatoire » . « Pourquoi la Banque mondiale imposerait-elle des restrictions à mon pays pour sortir de la pauvreté ? » , interroge ainsi l’administrateur brésilien. Quelle que soit l’issue de ce bras fer, « ce texte est insuffisant, tranche Anne-Sophie Simpère. Malgré de belles déclarations, la Banque mondiale s’engage dans un modèle de business as usual centré sur des projets de très grande échelle » . L’objectif de 75 % de prêts dans les énergies propres d’ici à 2015 est lui aussi discrédité. « La définition de ce qui peut être comptabilisé comme énergie propre est bien trop large car elle inclut les grands barrages, les agrocarburants et le nucléaire. » De quoi vider la notion d’ « énergie propre » de sa substance !

Autre source d’inquiétude, l’importance donnée aux grands barrages. Financé par la Banque mondiale, Nam Theun 2, au Laos, est le plus grand projet hydroélectrique d’Asie du Sud-Est. Et le plus controversé. Sa construction a provoqué le déplacement forcé de 6 200 personnes et en affecte plus de 100 000 vivant en aval. La Thaïlande en est le premier bénéficiaire puisqu’elle importe l’essentiel de l’électricité produite. Mais Nam Theun 2 n’est qu’un début. Le Laos prévoit le lancement de six autres barrages dans la prochaine décennie. « La Banque mondiale a aussi un projet de financement de grand barrage au Mozambique » , explique Anne-Sophie Simpere. Non pas au profit des habitants du Mozambique, dont seuls 8 % ont accès à l’électricité, mais de l’Afrique du Sud. Vingt ans après le protocole de Rio, la Banque mondiale, dirigée par Robert Zoellick, un ancien de Goldman Sachs, banque championne de la spéculation financière, continue ses pratiques douteuses et polluantes.

Temps de lecture : 4 minutes