L’Allemagne bouillonne contre les gaz

Du benzène et du mercure ont été détectés en grande quantité dans des zones où Exxon exploite des gaz non conventionnels. Inquiets, écologistes, riverains, ainsi que les distributeurs d’eau se mobilisent.

Rachel Knaebel  • 12 mai 2011 abonné·es
L’Allemagne bouillonne contre les gaz
© Photo : Christophe klemp

Les habitants de Söhlingen, en Basse-Saxe, dans le nord-ouest de l’Allemagne, n’en savaient rien jusqu’à cette année. Mais la fracturation hydraulique est pratiquée chez eux depuis plus de quinze ans, pour extraire du gaz « tight », contenu dans des roches compactes à près de 5 000 m de profondeur. « Avant, personne ne s’était posé la question de savoir quels produits étaient utilisés pour ce procédé » , rapporte Ralf Borngräber, député SPD du canton au parlement régional. Mais, à l’automne dernier, un grand chantier a attiré l’attention. Exxon, qui exploite les puits du village, y a remplacé 2 500 m3 de sols contaminés au mercure et aux benzène, toluène, éthylbenzène et xylène (BTEX), cancérigènes. Ces dernières substances sont présentes dans les produits chimiques utilisés aux États-Unis pour fracturer les roches de schiste [^2]. Aucune fuite matérielle n’a été constatée. Selon Exxon et l’administration régionale des mines, il s’agirait d’un défaut d’imperméabilité des conduites. Les éléments proviendraient de l’eau des gisements gaziers, qui les contient « naturellement » en petites quantités.

Le groupe a découvert la pollution en 2007, lors d’un contrôle de routine, mis la conduite hors réseau, et assure avoir informé aussitôt autorités et riverains, dont certains possèdent une source sur le terrain. Il n’y aurait aucun danger. Mais il a tout de même fallu trois ans pour assainir la totalité des sols touchés. Un délai d’autant moins rassurant que des contaminations similaires sont signalées à une centaine de kilomètres, autour du puits d’Hengstlage, exploité de même par Exxon. Et les habitants de la région ont une autre raison de s’inquiéter : les forages ont des effets sismiques. En octobre 2004, un tremblement de terre de magnitude 4,4 a frappé la zone de Söhlingen. Selon une recherche du centre d’études géologiques Helmholtz [^3], il avait un lien avec l’extraction gazière (conventionnelle ou non) des environs. Le foyer du tremblement se trouvait en effet tout près du niveau de forage, entre 5 et 7 km dans le sous-sol.

« Mes arbres se sont mis à noircir » , témoigne Rheinard Preil. Il a acquis une maison de campagne il y a un an et demi, juste à côté de la zone contaminée de Söhlingen. Les conduites passent sous son terrain. « Si j’avais su qu’il pouvait se passer des choses comme ça, je n’aurais pas acheté. Pas pour me faire empoisonner pendant mes vacances. » Son voisin Edwin Schoon a, lui, vu mourir ses carpes et constaté des taux élevés de mercure et de benzène dans son sang et celui de son épouse. Le retraité a lancé une action en justice contre Exxon et ne peut s’exprimer avant le jugement. « Mais peu de gens se sentent concernés. La plupart ne réagissent pas » , rapporte Rheinard Preil. Les riverains ont en général conclu des contrats de fermage avec Exxon, en vertu du droit de passage sur les terrains. « Et l’exploitant gazier a accordé beaucoup de dons ces dernières années, par exemple aux pompiers » , rapporte cette habitante qui souhaite rester anonyme. « Aux jardins d’enfants aussi. Exxon fait régulièrement des dons, comme d’autres entreprises et à des niveaux semblables » , indique pour sa part Franka Strehse, maire SPD de la commune dont dépend Söhlingen. Qui se juge par ailleurs « très bien informée » par le groupe et « depuis longtemps ». Le député Vert au Bundestag Oliver Krischer n’a pas eu la même impression quand il s’est rendu sur place : « Exxon ne dit que ce qui est déjà connu ou bien des demi-vérités. À Söhlingen, ils ont bien fait part de la fuite aux habitants, mais sans mentionner qu’il y avait pollution à neuf endroits différents. »

« Nous pensons que ces contaminations sont liées à la fracturation hydraulique , explique son collègue du parlement régional de Basse-Saxe Stefan Wenzel. On ne peut pas le prouver. Mais le ministère de l’Économie du Land [dirigé par les conservateurs de la CDU et les libéraux du FDP, NDLR], qui affirme le contraire, comme Exxon, ne peut rien démontrer non plus. »  Le procédé de fracturation a été pratiqué plus de 250 fois en Basse-Saxe, sur 120 sites, et ce depuis 1977, pour augmenter la production des gisements conventionnels ou extraire des gaz « tight ». « Personne ne peut nous garantir que les produits chimiques utilisés pour briser la roche, à 4 000-5 000 m de profondeur, ne remontent pas jusqu’aux nappes phréatiques, à 300 m dans le sous-sol, s’inquiète le député social-démocrate Ralf Borngräber. Il faut répondre à ces questions, connaître les risques pour savoir si nous voulons vivre avec, ou pas. »

Les Verts de Basse-Saxe réclament une expertise d’impact environnemental ; le SPD régional, les données complètes sur les produits chimiques déjà injectés et leurs quantités. Le ministre de l’Économie du Land les avait promises pour fin avril. « En ce début mai, j’attends toujours, indique le social-démocrate. Le problème, c’est que le droit minier allemand date de la période de l’Empire, de la fin du XIXe siècle. Il ne prévoit ni analyse environnementale ni participation publique, au contraire de ce qui se fait en matière d’aménagement, par exemple. »

Les événements sont suivis avec attention dans le sud du Land. Comme à Lünne, village d’un millier d’habitants, où Exxon a procédé à des forages tests de janvier à fin mars. La firme y cherche cette fois du gaz de schiste. En cas de résultats positifs, les machines reviendront dans un an, pour fracturer. « Mais je pense qu’avec tous les mouvements de protestation, ils ne vont pas le faire, estime Mathias Elshoff, tête de file des initiatives citoyennes Gegen Gasbohren de Basse-Saxe et de Rhénanie du Nord. Le mouvement est né voilà moins de dix mois, mais essaime très vite, avec déjà huit groupes. « Et nous avons des soutiens. » La compagnie de gestion des eaux Gelsenwasser, par exemple, qui approvisionne 2,7 millions de personnes dans la région, s’est prononcée contre les forages. VKU, groupement national de plus de mille régies municipales de distribution d’eau, d’électricité et de gestion des déchets, se montre aussi préoccupé. Et le Land de Rhénanie du Nord, gouverné par une coalition SPD-Verts, a décidé de suspendre les autorisations jusqu’aux résultats d’une expertise environnementale. Reste que le sujet n’est toujours pas arrivé au Bundestag. « Le droit minier ne prescrit pas d’interroger le Législateur, regrette Ralf Borngräber. *Mais avec une opinion publique de plus en plus critique, ça peut changer. »
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[^2]: Leur présence est pointée du doigt dans le rapport de la Chambre des représentants des États-Unis sur les gaz de schiste, publié en avril.

[^3]: Qui mène, notamment avec l’Institut français du pétrole, l’étude européenne sur les réserves en gaz de schiste « Gash ».

Écologie
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