Le bienfaiteur des banquiers

Le FMI dirigé par Dominique Strauss-Kahn et l’Union européenne n’ont eu de cesse de faire payer au peuple les frasques des responsables de la crise.

Thierry Brun  • 19 mai 2011 abonné·es

C’était en novembre 2007. Désigné au poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn s’empresse de déclarer qu’il poursuivra la réforme de l’institution, qui s’est soldée par une plus grande représentation des pays en voie de développement, en particulier la Chine et l’Inde. Toutefois, le patron du FMI reste dans la continuité de ses prédécesseurs et ne rompt pas avec les fameux programmes d’ajustements ou d’austérité, synonymes de destruction des services publics et de mise en cause des systèmes sociaux. Aujourd’hui, alors que l’homme est dans la tourmente après son inculpation pour agression sexuelle, l’allégeance de DSK lui vaut quelques louanges à Washington sur son bilan positif à la tête du FMI. Dans les capitales européennes, on ne tarit pas d’éloges envers celui qui est considéré comme l’un des principaux artisans des politiques de sortie de la crise financière. Pour les dirigeants européens et la Commission européenne, DSK est aussi l’homme providentiel qui a joué un rôle crucial dans l’acceptation de programmes d’aide aux pays en difficulté à la suite de l’éclatement de la crise de la dette dans la zone euro.

C’est oublier les effets de l’action « bienfaitrice » du FMI. Les mesures de sauvetage se sont traduites par des plans d’austérité d’une ampleur jamais vue. « Le FMI et l’Union européenne n’ont pas sauvé la Grèce, ils l’ont assommée. Ils n’ont pas sauvé l’Irlande et le Portugal, ils ont conforté leurs gouvernements dans la volonté de ceux-ci de faire payer la crise aux victimes de la crise et non à leurs fautifs. Une preuve supplémentaire en est donnée par la préparation du “pacte pour l’euro” par les gouvernements français et allemand et la Commission européenne, dont le Parlement européen est actuellement saisi   », réagit l’économiste Jean-Marie Harribey [^2].

L’Union et l’institution dirigée par DSK ont en fait pesé de tout leur poids pour convertir les dettes bancaires privées en dettes publiques, et ainsi contraindre les peuples à payer les frasques des banquiers, soulignent les initiateurs du Manifeste d’économistes atterrés ^3. Tous les moyens sont bons pour convaincre que la Grèce, maillon faible de la zone euro, a les moyens d’honorer sa dette publique. C’est, par exemple, un expert du FMI qui annonce en février, à Athènes, que le montant des privatisations d’ici à 2015 sera porté de 7 milliards à pas moins de 50 milliards d’euros. La méthode a provoqué quelques remous avec le gouvernement grec, qui a dénoncé une décision prise « d’une manière unilatérale » , avant de se rallier… au FMI.

Sous la pression, les pays européens attaqués par les marchés financiers doivent donc « mettre en œuvre des plans drastiques, et bien souvent aveugles, de réduction des déficits publics, décrit l’économiste Henri Sterdyniak dans le premier ouvrage publié par les “économistes atterrés [^4]”. De 2009 à 2012, l’effort représenterait 17 % du PIB pour la Grèce, 10,5 % pour l’Espagne, 10 % pour l’Irlande et 9,5 % pour le Portugal ». S’ajoutent à cela des programmes de privatisations, qui devraient représenter 20 % du PIB en Grèce. « Les autres pays , poursuit Henri Sterdyniak, pressés par la Commission de rentrer dans les clous du Pacte de stabilité et de croissance, et craignant de voir leur note dégradée par les agences de notation, se résignent à faire des efforts de l’ordre de 1 à 1,5 point de PIB, en se fixant un objectif de déficit inférieur à 3 % en 2012 ou 2013, puis un objectif de solde équilibré à long terme. »

Conséquence de ces potions amères, « ces politiques enfoncent l’Europe dans le chômage et les dettes » , pointent les économistes atterrés, rejoints par l’analyse de certains organismes bancaires. Ainsi, dans un document daté d’octobre 2010, la Société générale montre que « tous les plans d’austérité ne réussiront pas » et qu’il existe « un risque majeur pesant sur la croissance économique si les gouvernements mettent en œuvre les plans d’austérité de manière non coordonnée » .

Autre effet des plans d’austérité, le poids du remboursement de la dette deviendra vite insoutenable pour un certain nombre de pays. « C’est pour cela que, fin 2010, les dirigeants européens ont annoncé qu’à partir de 2013, lors des nouvelles émissions de titres de la dette, des nouvelles règles seront adoptées afin de prévoir la possibilité d’une restructuration de dette avec à la clé une réduction de son montant » , soulève Éric Toussaint, économiste et président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM).
Entre-temps, les institutions bancaires privées auront réussi à se faire rembourser des montants considérables, tout en réduisant leur exposition aux pays à risque, et pourront remercier le FMI.

[^2]: L’un des coordinateurs de l’ouvrage les Pièges de la dette publique, Attac, Les liens qui libèrent, 2011.

[^4]: 20 ans d’aveuglement, l’Europe au bord du gouffre, Les économistes atterrés, Les Liens qui libèrent, 2011.

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