« Résister, c’est un acte universel ! »

Radhia Nasraoui, avocate tunisienne, a combattu pendant trente ans la dictature de Ben Ali. Cette figure majeure de l’opposition tunisienne était invitée aux Glières.

Pauline Graulle  • 19 mai 2011 abonné·es

Elle doit mesurer à peine plus d’1,60 m. Mais à la tribune, dans le froid glacial du plateau des Glières, elle dégage une force colossale. Radhia Nasraoui « n’arrête jamais » . Entre ses activités militantes contre la torture, son métier d’avocate, notamment auprès des « prisonniers d’opinion » , et les journalistes qui veulent recueillir son point de vue sur la résistance en Tunisie, cette mère de trois enfants avoue ne plus avoir « de vie personnelle » . En trente ans de lutte, a-t-elle déjà eu un quelconque répit ? Grèves de la faim, intimidations du régime de Ben Ali, agressions physiques, menaces contre sa famille (elle a épousé le porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie, emprisonné pendant plusieurs mois) scandent la vie de Maître Nasraoui. Une vie de résistante. Qui sait que, malgré la chute du régime de Ben Ali, le chemin vers la démocratie sera encore long et semé d’embûches. Optimiste envers et contre tout, Radhia Nasraoui était une invitée de marque pour cette 5e édition des Glières. Elle a accordé une brève interview à Politis .

**Politis : Pourquoi êtes-vous venue au rassemblement des Glières cette année ?

Radhia Nasraoui :** Je viens parler de la résistance. Cela m’honore

Illustration - « Résister, c’est un acte universel ! »

beaucoup d’avoir été invitée. D’autant que c’est l’occasion pour moi de rencontrer, pour la troisième fois, le grand Stéphane Hessel. C’est un homme que j’admire beaucoup, d’abord pour son œuvre, parce qu’il a contribué à l’écriture de la Déclaration des droits de l’homme, et aussi parce qu’à son âge il est resté combatif : il continue de suivre les événements partout, de poser les problèmes importants, d’évoquer la mise en place d’une VIe République… Son dynamisme m’impressionne vraiment.

Votre combat en Tunisie a-t-il été inspiré par la résistance française ?

Bien sûr. Et par la résistance partout dans le monde. Dans ce domaine-là, il n’y a pas de frontières, il y a quelque chose d’universel dans l’acte de résister ! Les résistants, ce sont des gens qui refusent de se soumettre, qui n’acceptent pas l’humiliation, non seulement la leur, mais celle des populations auxquelles ils appartiennent. Le rassemblement des Glières est un espace pour que les résistants d’époques et de pays différents puissent se rencontrer et échanger. Il faut multiplier les lieux comme celui-ci, qui galvanisent les luttes et qui redonnent de l’espoir. Regardez en Tunisie : qui pouvait croire, il y a encore quelques mois, que Ben Ali pourrait un jour quitter le pouvoir ? C’était inimaginable ! Et pourtant le miracle a eu lieu. Cela montre, une fois encore, que l’arbitraire, la corruption, la soumission d’un peuple ne peuvent pas durer. Au bout d’un moment, le peuple n’a plus rien à perdre et finit par se révolter.

Comment abordez-vous les élections à venir en Tunisie ?

Aujourd’hui, rien n’est clair, ni la date des élections, ni les partis qui seront en lice. Ce qui est clair, hélas, c’est que les mêmes hommes continuent d’avoir les mêmes pratiques ! La police et la justice n’ont pas changé. Comme sous Ben Ali, les agressions, la torture, les arrestations arbitraires, les freins qui nous empêchent de nous réunir continuent. Je constate que, malgré le départ de Ben Ali et de sa famille, beaucoup de collaborateurs du régime et de complices de la dictature sont encore là. Quelques-uns ont été emprisonnés, mais pas suffisamment.

Cela vous rend-il pessimiste pour la suite ?

Non, car je suis d’une nature résolument optimiste ! Il y a aujourd’hui une contre-révolution à laquelle on pouvait s’attendre. La peur, qui avait disparu un temps du pays, est revenue. Les Tunisiens s’inquiètent du retour d’agissements qu’ils avaient cru pouvoir oublier. En réalité, la lutte ne fait que commencer.

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L'image d'un naufrage
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