« Non à l’humiliation ! »

Bruno Ulmer signe un documentaire sur les scouts d’al-Mahdi, au Sud-Liban. Une communauté marquée par les guerres et le conflit israélo-palestinien.

Jean-Claude Renard  • 2 juin 2011 abonné·es
« Non à l’humiliation ! »
© Les Scouts d’al-Mahdi, vendredi 10 juin, 23 h, Arte (1 h 20). Photo : Arte france

Politis : Qu’est-ce qui a présidé à la réalisation de ce film ?

Bruno Ulmer :** Je voulais explorer l’influence conjuguée du politique et du religieux chez les jeunes, à ce moment déterminant de l’adolescence. Les scouts d’al-Mahdi sont une organisation autonome, rattachée via l’Association des scouts du Liban à celle, internationale, des scouts de Baden-Powell, mais aussi au Hezbollah. Entre politique, religion et jeunesse, la triade que je voulais traiter était en place.

Résister et combattre semble le leitmotiv des scouts d’al-Mahdi…
« Non à l’humiliation ! » Du film, et de ses moments intenses de tournage, c’est cette phrase que je retiens en premier. Sur l’immense place de Dâhiye, la banlieue chiite de Beyrouth, cette phrase était scandée par les partisans du Hezbollah à l’appel de leur chef, Hassan Nasrallah. Ils étaient là par milliers, le poing levé, le regard noir face à l’écran où l’image projetée, irréelle, du chef du Hezbollah les replongeait, comme à chacun de ses discours, dans les racines d’une humiliation collective. Celle, originelle, historique, de Hussein, petit-fils du prophète Mahomet, imam sacré des chiites, mort en martyr parce qu’il ne reconnaissait pas la légitimité religieuse et politique d’un calife qui, finalement, le massacra. Puis celle, plus récente, de l’occupation du Sud-Liban, terre chiite, par Israël, la résistance, la guerre, la libération en 2000, puis à nouveau la guerre de 2006.

Quelles ont été les conditions de tournage ?

J’ai dû écarter mes a priori et tenir compte des contraintes de tournage imposées par les représentants officiels des scouts d’al-Mahdi, relais du Hezbollah. Il s’agissait aussi d’intégrer « l’environnement » dans lequel les jeunes scouts étaient nés, avaient grandi : un contexte de guerre de territoire avec Israël, un idéal de résistance partagé par les familles, des proches morts en martyrs… Mais aussi un contexte de victoire, avec la libération du Sud par la branche armée du Hezbollah, et la « victoire divine », nommée comme telle par Hassan Nasrallah, lors du conflit de 2006. Pour moi, qui n’ai jamais vécu la guerre en Europe, comprendre ce contexte-là, sans pour autant prendre parti, était un préalable nécessaire. Une façon, en tout cas, de dépasser l’image caricaturale, trop facile, qui réduit les jeunes scouts d’al-Mahdi à un statut « d’enfants-soldats ». Ce qu’ils ne sont pas. Jeunes adultes engagés après une « sensibilisation » efficace au sein des scouts, probablement oui, mais dans un jeu de nuances politiques, religieuses, humaines qui n’a rien de simpliste.

Qu’est-ce qui différencie principalement ce mouvement scout des autres ?

Leur réalité est éminemment plus complexe. D’autant que ces dimensions de politique et de religieux touchent quasiment tous les actes de leur vie d’adolescents : la vie personnelle, familiale, leur éducation, leurs loisirs. J’ai bien sûr très vite retrouvé les situations attendues, celles, finalement « banales » parce partagées partout dans le monde, des scouts à l’ouvrage : campements, lever de drapeaux, exercices collectifs et feux de bois… Mais il y avait aussi les actes sociaux, du ramassage des ordures sur la plage à la distribution des repas aux plus pauvres.

On peut néanmoins s’interroger sur la manipulation, la conscience politique…

Manipulation ? J’ai bien sûr été sur mes gardes. Même si une autorisation m’a été donnée de filmer les scouts d’al-Mahdi, on ne peut pas dire que l’organisation du Hezbollah, et en conséquence celle des scouts, soit d’une transparence totale. La communication y est parfaitement maîtrisée, et chacune de nos demandes, chacune des séquences du film devait être « validée ». Ce qui finalement n’a pas été le plus compliqué. En revanche, ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est la force du « communautaire », la force du groupe comme élément social, comme groupe identifié de la « sphère » du Hezbollah.


Quelle est votre position face à cette expression sociale ?

Si la conjonction jeunesse-politique-religion m’intéresse, je défends l’idée de la laïcité, tenant très nettement à distance la question religieuse du champ politique. Néanmoins, je continue de penser que ce « prisme » reste intéressant pour tenter de comprendre bien des situations dans ce que l’on peut appeler le « monde arabo-musulman », où politique et religion sont étroitement liées et où la jeunesse, numériquement prépondérante, devient un acteur social à part entière… Au reste, les mouvements actuels de révolte en témoignent.

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